Allemagne : Une sortie du charbon préconisée d’ici 2038

Texte mis à jour le 25.02.2019

Temps de lecture 3 – 4 min

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Après des mois d’âpres négociations et une dernière séance marathon jusqu’à samedi 26.1.2019, la « Commission Charbon » préconise la sortie progressive des centrales au charbon et au lignite d´ici 2038 au plus tard pour atteindre les objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La décision finale sur la suite à donner sera prise par le gouvernement allemand très vraisemblablement courant 2019

La « Commission Croissance, Changement structurel et Emploi », également appelée « Commission Charbon » a été créée par le gouvernement allemand en juin 2018,  pour émettre des propositions sur la sortie progressive de la production d’électricité à base de charbon et de lignite (Allemagne-Energies 2018b).

Censés initialement rendre leurs conclusions en décembre 2018, les membres de cette Commission composée d’experts, de représentants des employeurs et salariés du secteur, et d’ONG de défense de l’environnement, sont finalement parvenus à un accord le 26.1.2019 après une dernière séance marathon.

En résumé, la Commission préconise  (BMWi 2019) :

  • Sortie progressive du charbon et du lignite pour produire de l’électricité d´ici 2038 (la date butée sera avancée à 2035 si les conditions le permettent, décision en 2032)
  • D’ici 2022 une capacité de 12,5 GW doit être fermée dont plusieurs centrales au lignite.
  • Jusqu’en 2030 suivront d’autres centrales et seule une capacité de 17 GW restera au réseau.

La Commission préconise d´évaluer régulièrement l’efficacité de la mise en œuvre des mesures et propose 2023, 2026 et 2029 comme échéances pour le réexamen. Une adaptation des mesures serait le cas échéant nécessaire en fonction des résultats de l’évaluation.

Le rapport de la Commission sera maintenant examiné par les « Länder » et le gouvernement allemand. La décision finale sur la suite à donner sera prise par le gouvernement allemand et aboutira à une loi. On s’attend à ce que le gouvernement se prononce courant 2019.

L’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) a établi un mémo qui explique les mesures principales proposées par la « commission charbon » afin d´accompagner la sortie du charbon, notamment des aides structurelles pour les territoires concernés, et des allègements fiscaux pour les consommateurs privés et les industriels énergie-intensifs (OFATE 2019).

La sortie du charbon coutera des dizaines de milliards d´Euros

Compte tenu des dizaines de milliers d’emplois directement ou indirectement liés à la production de lignite et de charbon, la commission propose des aides fédérales aux régions charbonnières pour un montant total de 40 milliards d’euros au cours des 20 prochaines années.

La sortie accélérée du charbon conduirait à une augmentation significative du prix du kWh pour tous les consommateurs. A partir de 2023, une aide évaluée à 2 milliards d’Euros par an serait destinée à l´industrie et aux consommateurs affectés par la hausse des prix du kWh. Une réduction du tarif d´acheminement ou une mesure adéquate est envisagée.

De plus, les énergéticiens peuvent compter sur une indemnisation pour un arrêt prématuré de leurs centrales.

La sortie du charbon aggrave le désavantage de l´Allemagne pour l’industrie électro-intensive. Elle est actuellement protégée sous la forme d´un dégrèvement partiel du soutien aux énergies renouvelables et conserve un tarif compétitif ayant pour but de préserver la compétitivité internationale. La disposition arrive à échéance en 2020. Selon la Commission Charbon, le gouvernement devrait intervenir pour obtenir une prolongation auprès de la Commission européenne.

Impact sur le climat en Europe

Le grand nombre de quotas d’émission disponibles suite à la sortie prématurée de la production à base de charbon/lignite en Allemagne peut conduire à une distorsion du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (EU ETS). Pour obtenir une réduction des émissions de CO2 en Europe il faudrait empêcher l´achat des quotas libérés par d´autres entités opérant sur le marché du carbone. Une possibilité serait de retirer ces quotas d’émission du marché. Bien que cela conduise à une perte de recettes pour l´Allemagne, la proposition de la Commission charbon va dans ce sens.

Le casse-tête de la sécurité de l´approvisionnement

Fin 2018, l´Allemagne disposait d´une capacité de 45 GW de centrales au charbon et lignite ayant produit 229 TWh (35% de la production totale) et d´une capacité de 9,5 GW nucléaire ayant produit 76 TWh (12 % de la production totale ) en 2018 (Allemagne-Energies 2019).

Avec la sortie définitive du nucléaire programmée pour fin 2022 et l´arrêt en même temps d´une capacité de 12,5 GW des centrales à charbon/lignite, l´Allemagne perd d´un coup 22 GW de moyens pilotables et d’ici 2030 encore 16 GW supplémentaires.

Le gouvernement vise une part de 65% d´énergies renouvelables à la consommation d´ici 2030 en s´appuyant notamment sur les énergies fatales. Mais en l’absence de moyens de stockage d´énergie appropriés, il ne s´agit pas d´un remplacement qualitativement comparable compte tenu de la volatilité de production des énergies fatales.

La fédération des entreprises de l’énergie BDEW salue les propositions de la Commission car elles offrent ainsi une sécurité de planification à long terme pour l´industrie (BDEW 2019).

Mais la fédération pointe le doigt sur le fait que la réduction des moyens pilotables d´ici 2022 nécessite des investissements rapides pour garantir la sécurité d´approvisionnement. Il faudrait remplacer en cas de nécessité les centrales à charbon et lignite par des centrales CCG et/ou la cogénération moins émettrices en CO2. Mais cela suppose la mise en place d’incitations efficaces en faveur d´investissements dans des nouvelles centrales.

Les quatre GRT allemands ont publié le 24.1.2019 les bilans prévisionnels de l’équilibre offre-demande 2017 – 2021 (GRT 2019). Ils utilisent une approche déterministe conservative et accordent une disponibilité  de 0% au photovoltaïque et de 1% à l´éolien pour la gestion des périodes de pointe pouvant atteindre une demande de ~ 82 GW en 2021. Avec cette hypothèse le pays pourrait déjà faire face à un déficit d’approvisionnement en électricité de 5,5 GW en 2021, hors importation. Le bilan des GRT ne tient pas encore compte des propositions de la Commission Charbon.

Certes, le bilan prévisionnel des GRT est une démarche théorique et suppose la simultanéité d’événements relativement improbables d´une situation de pointe combinée avec une production extrêmement faible d’énergies renouvelables et ne tient pas compte des importations possibles dans une situation difficile.  Mais dans de nombreux pays européens on constate actuellement une tendance identique à réduire les capacités des centrales thermiques concomitamment au développement massif des énergies renouvelables intermittentes.

A titre d´exemple, la France compte fermer d´ici 2022 les quatre centrales à charbon encore en fonctionnement (3 GW), selon le projet de la programmation pluriannuelle (MTES 2019). La feuille de route prévoit ensuite la fermeture de 14 réacteurs nucléaires (sur 58) d’ici 2035.

Ce n’est donc pas sans raison que 10 associations professionnelles du secteur de l’électricité ont lancé en octobre 2018 un appel commun pour assurer la sécurité d´approvisionnement en Europe (Allemagne-Energies 2018a). Si les gouvernements n’apportent pas de corrections, la solidarité actuelle entre les pays pour se secourir en situation de pointe extrême serait en péril d’ici quelques années.

Selon la Commission, la sortie de la production à base du charbon doit être menée en continuant à garantir le niveau de sécurité d’approvisionnement sans recours aux importations. En effet, malgré les possibilités de secours inter-frontaliers, la responsabilité pour la sécurité de l´approvisionnement est avant tout l´affaire de chaque pays. La politique énergétique des autres pays européens peut changer et l´évolution des capacités de production des pays voisin est difficile à apprécier.

Le dispositif des « capacités de réserve » est considéré comme approprié pour le maintien de la stabilité du système électrique. Pour mémoire ces centrales de réserve ne sont pas autorisées à participer au marché de production mais seront uniquement employées à la demande des gestionnaires de réseaux (Allemagne-Energies 2018c).

De plus, la Commission préconise le développement de la cogénération et l´accélération des procédures pour la construction des nouvelles centrales CCG.

Bibliographie

Allemagne-Energies (2018a) Dix associations professionnelles du secteur de l’électricité signent un appel commun pour assurer la sécurité d´approvisionnement en Europe. En ligne : https://allemagne-energies.com/2018/10/10/dix-associations-professionnelles-du-secteur-de-lelectricite-signent-un-appel-commun-pour-assurer-la-securite-dapprovisionnement-en-europe/. 

Allemagne-Energies (2018b) Le gouvernement allemand crée une commission devant émettre des propositions pour la sortie progressive de la production d’électricité à base de charbon et de lignite. En ligne : https://allemagne-energies.com/2018/06/12/le-gouvernement-allemand-cree-une-commission-devant-emettre-des-propositions-pour-la-sortie-progressive-de-la-production-delectricite-a-base-de-charbon-et-de-lignite/. 

Allemagne-Energies (2018c) Pour les hivers 2018-2019 et 2019-2020, l´agence fédérale des réseaux évalue à 6,6 GW la capacité de réserve des centrales thermiques à flamme. En ligne : https://allemagne-energies.com/2018/05/17/pour-les-hivers-2018-2019-et-2019-2020-lagence-federale-des-reseaux-evalue-a-66-gw-la-capacite-de-reserve-des-centrales-thermiques-a-flamme/. 

Allemagne-Energies (2019) Le paysage énergétique allemand en 2018. En ligne : https://allemagne-energies.com/2019/01/07/le-paysage-energetique-allemand-en-2018/. 

BDEW (2019) Abschluss der Kommission „Wachstum, Strukturwandel und Beschäftigung. Kommission schafft Planungssicherheit für Energiewirtschaft. Bundesverband der Energie- und Wasserwirtschaft. En ligne : https://www.bdew.de/presse/presseinformationen/kommission-schafft-planungssicherheit-fuer-energiewirtschaft/. 

BMWi (2019) Kommission „Wachstum, Strukturwandel und Beschäftigung ». Abschlussbericht. Bundesministerium für Wirtschaft und Energie. En ligne : https://www.kommission-wsb.de/WSB/Redaktion/DE/Downloads/abschlussbericht-kommission-wachstum-strukturwandel-und-beschaeftigung.pdf?__blob=publicationFile&v=4. 

GRT (2019) Leistungsbilanzbericht. Bericht der deutschen Übertragungsnetzbetreiber zur Leistungsbilanz 2017-2021. Gestionnaires de réseau de transport allemand. En ligne : https://www.netztransparenz.de/Weitere-Veroeffentlichungen/Leistungsbilanzbericht. 

MTES (2019) Synthèse : Stratégie française pour l´énergie et le climat. Programmation pluriannuelle de l´énergie 2019-2023 et 2024-2028. Ministère de la Transition écologique et solidaire. En ligne : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Synth%C3%A8se%20finale%20Projet%20de%20PPE.pdf. 

OFATE (2019) Mémo sur la publication du rapport final de la Commission allemande pour la croissance, le changement structurel et l’emploi, dite « commission charbon ». 1er février 2019. Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE). En ligne : https://energie-fr-de.eu/fr/societe-environnement-economie/actualites/lecteur/memo-la-publication-du-rapport-final-de-la-commission-allemande-pour-la-croissance-le-changement-structurel-et-lemploi.html.

2 réflexions au sujet de “Allemagne : Une sortie du charbon préconisée d’ici 2038”

  1. Merci pour cet article bien utile. Une petite remarque les sources indiquent un parc de 45 GW certes, mais en pratique on ne voit jamais la production dépasser 35 GW sur le site du Fraunhofer, et aussi visiblement dans les stats de l’ENTSO.E, y compris quand les niveaux de prix sont très élevés et que le pays devient importateur net. Vous avez une idée de l’origine de cet écart ? Limite de la disponibilité du parc, décompte dans les 45 GW d’unité qui ne serait appelées qu’en cas d’alerte sur une situation critique, autre ?

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    1. Bonjour,
      L´agence fédérale de réseaux publie régulièrement une liste des centrales (Kraftwerksliste), voir: https://www.bundesnetzagentur.de/DE/Sachgebiete/ElektrizitaetundGas/Unternehmen_Institutionen/Versorgungssicherheit/Erzeugungskapazitaeten/Kraftwerksliste/kraftwerksliste-node.html

      Selon la dernière liste publiée, nous avons ~ 40,8 GW de centrales charbon/lignite en activité dont 21,88 GW charbon et 18,94 GW lignite. 1,97 GW de centrales au lignite constituent une réserve de sécurité (activée en cas de besoin) et 2,3 GW de centrales au charbon constituent une « réserve des réseaux », donc au total environ 4,3 GW ne fonctionnent qu´en situation exceptionnelle.

      De plus, Fraunhofer utilise comme base de calcul la production nette injectée dans le réseau public sans tenir compte de la capacité de presque 11GW de centrales appartenant à l´industrie. L´autoproduction de l´industrie s´élève à presque 10 % de la production totale. Certaines de ces centrales fonctionnent à base de charbon.

      Et bien entendu un parc ne fonctionne presque jamais à 100% (arrêts de tranche ou arrêts fortuits).
      Hartmut Lauer

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