Transition énergétique allemande, Energiewende Deutschland, sortie du nucléaire, énergies renouvelables, économies d´énergie, réduction des émissions de gaz à effet de serre
Le siège de l’Agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur) à Bonn
Le deuxième appel d’offres 2018 pour l’éolien terrestre a porté sur un volume de 670 MW /1/.
Comme pour le premier appel d´offres 2018 tous les projets devaient disposer d’une autorisation selon la loi fédérale allemande de protection contre les nuisances environnementales (Bundesimmissionsschutzgesetz), y compris les sociétés citoyennes /2/. La date limite de dépôt des offres était fixée au 2 mai 2018.
Pour la première fois, avec 604 MW, les offres soumises n´atteignent pas le volume mis en adjudication. Les offres retenues varient entre 4,65 ct/kWh et 6,28 ct/KWh, le montant moyen de l’adjudication (ct/kWh) s´élève à 5,73 ct/kWh, donc en hausse par rapport au montant moyen du premier appel d´offres de février (4,73 ct/kWh).
Les sociétés citoyennes ont obtenu 19% des adjudications. Selon la règle spécifique aux projets citoyens « pay-as-clear », elles obtiennent la valeur de référence la plus chère parmi les projets retenus, à savoir 6,28 ct/KWh, les autres offrants retenus ne recevant que la valeur de référence proposée dans l´appel d´offres (pay-as-bid).
Le scenario le plus contraignant pour la stabilité du réseau est une production éolienne élevée dans le nord d´Allemagne combinée avec une demande d´électricité accrue dans la soirée après le coucher du soleil.
En plus d´un management accru du réseau (redispatch), il faut le cas échéant activer des centrales thermiques à flamme de réserve jusqu´à 6,6 GW dans le sud de l´Allemagne.
La situation en hiver 2019 – 2020 serait semblable. Il n´est donc pas question d´une détente de la situation avant la mise en service de nouvelles lignes et notamment les tracés nord – sud en courant continu, prévue pour 2025.
L´agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur) a publié le 30 avril 2018 son analyse concernant le besoin de capacité de réserve de centrales thermiques à flamme pour les hivers 2018-2019 et 2019-2020 /1/. Cette analyse s´appuie sur le rapport des gestionnaires de réseau /2/.
Centrale d´Irsching (Uniper) à Vohburg/Danube en Bavière (Centrale de réserve)
Situation de départ
La transition énergétique conduit à des changements profonds dans la structure et la distribution de la production d´électricité
sortie du nucléaire d´ici 2022
arrêt des capacités de production conventionnelles et absence de nouveaux projets par manque de rentabilité
augmentation des capacités d´éolien dans le nord et des capacités de photovoltaïque dans le sud de l´Allemagne
exigences accrues au réseau de transport compte tenu de l´augmentation de la distance entre les lieux de production et de consommation de l´électricité
retard du développement des réseaux de transport conduisant à court et moyen terme à une augmentation du risque pour la sécurité d´approvisionnement
Le scenario « pointe de consommation hivernale/ production élevée d´éolien » dimensionnant pour la sécurité du système électrique
Les gestionnaires de réseau ont étudié l’impact de différentes combinaisons d’aléas de production, d´acheminement et de consommation pour évaluer les risques pour le système électrique.
Le scenario « Dark – doldrums », c´est-à-dire des épisodes prolongés de production éolienne et solaire quasi nulle, combinée à une demande d´électricité accrue de fin d´automne ou en hiver serait maitrisé en tenant compte de la contribution des interconnexions européennes à la sécurité de l’approvisionnement.
Le scenario le plus critique pour la stabilité du réseau ne serait pas une fragilisation de l’approvisionnement en électricité, mais au contraire une production éolienne élevée dans le nord combinée avec une demande d´électricité accrue au sud de l´Allemagne dans la soirée après le coucher du soleil. La consommation de pointe est évaluée à 87,9 GW y compris les pertes dans les réseaux de distribution d´environ 2%. Ce scenario tient également compte d´une exportation élevée de l´ordre de 13 GW.
Ce scénario nécessite la capacité de réserve la plus élevée pour les raisons suivantes:
L´injection élevée d´une production éolienne sur le réseau du nord de l´Allemagne conduit à une baisse du prix de l´électricité au marché spot.
Un grand nombre de centrales à charbon et à gaz en Allemagne du Sud et des pays voisins du Sud arrêtent leur production en fonction de leurs coûts marginaux, et l´export de l’électricité augmente considérablement compte tenu du faible prix spot.
L´exportation élevée combinée avec une production conventionnelle réduite conduit à des flux nord – sud élevés et à la surcharge de certaines parties du réseau de transport.
Outre un management accru du réseau (redispatch) il faut dans cette situation activer des centrales conventionnelles de réserve dans le sud de l´Allemagne. Il s´agit des centrales thermiques à flamme d´une capacité totale de 6,6 GW considérées d´importance systémique, et pour lesquelles la demande d´arrêt des exploitants pour cause de rentabilité insuffisante n´a pas été accordée. Ces centrales de réserve ne sont pas autorisées à participer au marché de production mais seront uniquement employées à la demande des gestionnaires de réseaux pour le maintien de la stabilité du système électrique.
La situation de l’hiver 2019 – 2020 serait semblable. Il n´est donc pas question d´une détente de la situation avant la mise en service de nouvelles lignes et notamment les tracés nord – sud en courant continu d´environ 2100 km de longueur et d´une capacité totale de 10 GW. Dans l’état actuel des choses, les lignes à courant continu seront opérationnelles en 2025. La situation devrait donc s´améliorer après.
Les indemnisations à payer aux exploitants nucléaires s´accumulent pour l’Etat allemand. E.ON, RWE et EnBW ont déjà reçu un remboursement de 7 milliards d’Euros intérêts inclus. En juin 2017 la Cour Constitutionnelle allemande avait jugé que la taxation du combustible nucléaire était illégale/1/.
Selon le jugement de la Cour Constitutionnelle de fin 2016 quant à la validité de la Loi Atomique de 2011 /2/, les exploitants sont en droit d’exiger une indemnisation de l’Etat allemand pour la sortie accélérée du nucléaire. Le législateur a modifié par amendement la Loi Atomique dans ce sens /8/. La Commission Européenne doit donner son feu vert avant l´entrée en vigueur de la loi.
RWE et Vattenfall recevront une indemnisation financière estimée à moins d’un milliard d’Euros. Le montant exact ne sera connu qu´en 2023. E.ON dispose de la possibilité de consommer son quota d´électricité restant dans ses centrales nucléaires encore en service.
En cas de jugement favorable du tribunal d’arbitrage de la banque mondiale situé à Washington, Vattenfall pourrait espérer une indemnisation financière encore plus élevée. Le jugement est attendu courant 2018.
Centrale nucléaire de Biblis, arrêtée définitivement suite au 13e amendement de la loi Atomique de 2011
Historique
Suite à la décision du gouvernement de sortir du nucléaire d’ici 2022 sans compensation pour les exploitants nucléaires, RWE et E.ON et le suédois Vattenfall ont attaqué la validité du 13e amendement de la Loi Atomique de 2011. EnBW n’a pas fait de recours en justice.
La Cour Constitutionnelle allemande de Karlsruhe a rendu son jugement le 6 décembre 2016 /2/. Les juges ont estimé que les exploitants sont en droit d’exiger une indemnisation de l’Etat allemand pour :
les pertes d´exploitation par rapport aux quotas d’énergie accordés dans le cadre de la Loi Atomique de 2002. Celle-ci attribuait un quota (en térawattheure) à produire par réacteur. La loi de 2011 a rendu impossible la production de ces quotas.
les investissements engagés entre le 28 octobre 2010 et 16 mars 2011 suite à l´allongement de durée d´exploitation de 12 ans en moyenne fixé par la Loi Atomique de 2010.
Concrètement, les pertes d´exploitation par rapport aux quotas d’énergie accordés concernent RWE avec un reste d´environ 42 TWh pour la centrale nucléaire de Mülheim-Kärlich arrêtée en 1988 [1] et Vattenfall avec environ 46 TWh pour les centrales de Brunsbüttel et Krümmel arrêtées en 2011. Selon la Cour Constitutionnelle, les exploitants auraient pu compter sur l´utilisation de ces quotas accordés par la Loi Atomique de 2002. E.ON est dans un cas différent, disposant de la possibilité de consommer son quota dans ses centrales nucléaires encore en service.
Le 2e point de critique des juges concernait les investissements engagés par les énergéticiens entre la décision du 28 octobre 2010 du Parlement allemand de prolongation de fonctionnement des réacteurs et leur arrêt d’exploitation mi-mars 2011 suite à l´accident de Fukushima. Le législateur aurait dû dédommager les entreprises pour les investissements réalisés pendant ces 4 mois en vue d´une prolongation de fonctionnement de leurs réacteurs. Toutefois l´existence réelle de ces investissements devra être justifiée par les exploitants.
Mise en en œuvre de la modification de la Loi Atomique jusqu’à mi-2018
La Cour Constitutionnelle a donné plusieurs options au législateur pour indemniser les exploitants nucléaires:
Option 1: report des dates finales d´exploitation fixes définies dans la Loi Atomique de 2011 (arrêt des derniers réacteurs fin 2022) pour permettre aux exploitants l´utilisation des quotas (en térawattheure) restants.
Option 2 : obliger RWE et Vattenfall à vendre leurs quotas restants à E.ON ou EnBW pour que ces deux exploitants puissent faire fonctionner leurs réacteurs plus longtemps sans dépasser la date-butoir de fonctionnement selon la Loi Atomique 2011
Option 3 : accorder une indemnisation financière appropriée aux énergéticiens
Berlin a jusqu’à mi-2018 pour modifier la Loi Atomique dans le sens du jugement de la Cour Constitutionnelle.
La Loi Atomique prévoit l´indemnisation financière des exploitants
Selon le Ministère Fédéral de l´Environnement, l´ indemnisation financière serait la seule option viable pour garantir la sortie du nucléaire le plus rapidement possible /3/. Le ministère a établi un projet d´amendement à la Loi Atomique que le Gouvernement a entériné le 23 mai 2018 /5/. Le Parlement et le Bundesrat (Conseil fédéral allemand représentant les 16 Länder) ont donné leur accord /8/. La Commission Européenne doit donner son feu vert avant l´entrée en vigueur de la loi.
Selon le Ministère de l´Environnement, l´option 1 ne correspond pas à l´idée fondamentale de la Loi Atomique de 2011 de la sortie accélérée du nucléaire telle que décidée dans un consensus inter-partis par une grande majorité du parlement. Cette option contredisait en fait l’idée fondamentale.
L´option 2 ne serait pas viable non plus selon le Ministère de l´Environnement. La Loi Atomique actuelle permet déjà, sur une base volontaire, le report de quota d´une centrale vers une autre. La décision appartient aux exploitants et non à l´Etat. De plus un report de quota sans toucher aux dates-butoirs d´arrêt fixées par la loi ne serait pas suffisant pour consommer les quotas restants et il faudrait néanmoins prévoir une indemnisation financière. Un report obligatoire de quota octroyé aux exploitants serait une procédure juridique complexe avec le risque de retarder considérablement la mise en œuvre de la modification de la Loi Atomique.
Estimation du montant des indemnités financières
Le montant final ne sera fixé qu´en 2023 car les quotas non consommés ne seront connus qu´à ce moment-là, après l´arrêt définitif de tous les réacteurs nucléaires. Dans la mesure du possible, le législateur attend des exploitants de transférer à d´autres centrales les quotas non consommés avant fin 2022. En conséquence les estimations actuelles recèlent un degré considérable d’incertitude. L´indemnisation sera calculée à partir du prix de vente de l´électricité sur le marché entre 2011 et 2022 moins les coûts d´exploitation des centrales.
Selon les premières estimations du ministère, le montant des indemnités financières approcherait le milliard d´Euros pour RWE et Vattenfall, loin toutefois des 19 milliards d’Euros initialement estimés par les exploitants.
Plainte de Vattenfall contre l´Etat allemand
Outre la procédure juridique engagée en Allemagne, l’énergéticien suédois Vattenfall réclame 4,7 milliards d’Euros plus intérêts à l’Etat allemand pour l’arrêt de Krümmel et Brunsbüttel devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), tribunal d’arbitrage de la banque mondiale situé à Washington. RWE et E.ON, producteurs allemands, ne peuvent utiliser ce recours.
L´Etat allemand a rejeté la plainte de Vattenfall comme étant non fondée /6/, notamment suite à l´arrêt de la Cour Européenne du 6 mars 2018 /7/ jugeant incompatible avec le droit de l´Union la saisie d´un tribunal arbitral en cas de litige entre pays de l´Union Européenne.
Le jugement du CIRDI est attendu courant 2018.
[1] Première mise en service en 1986, la centrale nucléaire de Mülheim-Kärlich fut arrêtée en septembre 1988. En 2000, dans le cadre de l´accord avec le gouvernement fédéral sur l´abandon progressif du nucléaire, RWE décide le démantèlement de la centrale de Mülheim-Kärlich. En contrepartie RWE obtient un quota d´électricité supplémentaire de 107,25 TWh restant à produire dans ses autres centrales nucléaires /4/.
/5/ Gesetzentwurf der Bundesregierung eines Sechzehnten Gesetzes zur Änderung des Atomgesetzes, https://www.bmu.de/gesetz/gesetzentwurf-der-bundesregierung-eines-sechzehnten-gesetzes-zur-aenderung-des-atomgesetzes/
/6/ Extrait Drucksache 19/1979 du 4 mai 2018, Deutscher Bundestag, 19.Wahlperiode, Réponse du secrétaire d’état parlementaire au Ministère Fédéral de l´Économie et de l´Énergie Thomas Bareiß du 27 avril 2018, Drucksache 19_1979 _ Vattenfall