Clap de fin pour l’électronucléaire en Allemagne

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Les trois dernières centrales nucléaires (Emsland, Neckarwestheim unité 2 et Isar unité 2) d´une puissance totale nette de 4055 MW ont été arrêtées définitivement le 15 avril 2023, 21 ans après la décision de l’Allemagne de sortir de l’électronucléaire.

Initialement, les trois derniers réacteurs devaient fermer le 31 décembre 2022, mais leur arrêt définitif a été reporté sur décision du Chancelier Olaf Scholz. Objectif : sécuriser l’approvisionnement en électricité du pays face au risque d’une pénurie de gaz l’hiver 2022/23.

L’Allemagne perd 6% de sa production d’électricité à partir des moyens pilotables et décarbonés mais la sécurité d’approvisionnement serait assurée selon les ministres de l’Environnement et de l’Économie.

En attendant la mise en service de nouvelles centrales qui fonctionneront au gaz dans un premier temps avant de passer plus tard à l´hydrogène, des centrales à charbon ont été réactivées au moins jusqu´au printemps 2024 et resteront au réseau vraisemblablement au-delà.

C’est la fin d’une ère qui a commencé en 1955 avec la levée de l’interdiction de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire en Allemagne puis l’entrée en vigueur de la Loi Atomique (Atomgesetz) au premier janvier 1960.

Les centrales nucléaires ont produit environ 4.290 TWh bruts depuis la réunification de l’Allemagne en 1990. Cela correspond à environ 7 ans de la consommation brute de l’Allemagne et a économisé environ 4.200 Mt CO2éq soit environ 900 Mt CO2éq de plus que les énergies renouvelables pendant la même période.

Poussée par des principes purement idéologiques, l’Allemagne abandonne l’électronucléaire définitivement après six décennies d’exploitation de manière efficiente et sûre sans événements majeurs. Nous verrons bien si cette décision était justifiée ou une grave erreur en se privant d’une énergie propre, fiable et d’un coût abordable, qui contribue à l’atténuation des effets négatifs des changements climatiques.

Selon un récent sondage de la première chaine de télévision allemande, la majorité des Allemands est contre la fermeture des dernières centrales nucléaires.

Toutefois, la Loi Atomique (Atomgesetz) n’interdit pas les activités dans d’autres domaines du nucléaire comme l’enrichissement de l’uranium et la fabrication des crayons et des assemblages de combustible. L’exploitation de réacteurs de recherche est également autorisée.

De plus, il est prévu de poursuivre les recherches dans différents domaines du nucléaire (gestion des déchets nucléaires, radiologie et sûreté nucléaire). L’Allemagne poursuivra également la recherche en matière de fusion nucléaire contrôlée. Un des plus grands stellarateurs, le Wendelstein 7-X, a été mis en service en 2015 à Greifswald (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale).

Fig 1 Biblis Reaktorgebäude
Figure 1 : centrale nucléaire de Biblis : piscine d’entreposage des assemblages combustibles

Développement des réacteurs nucléaires en Allemagne depuis les années cinquante

Le premier réacteur mis en service en Allemagne fut le réacteur de recherche « München » en octobre 1957 à Garching près de Munich en Bavière, cf. figure 2. Ce réacteur qui appartenait à l’Université technique de Munich était aussi appelé « Atom-Ei von Garching (œuf atomique de Garching) » du fait de sa coupole en forme d’œuf. Sa puissance thermique a été progressivement augmentée de 1 à 4 MWth. Il a été mis hors service en 2000 /12/.

La base légale de l’utilisation de l’énergie nucléaire en Allemagne est la Loi Atomique (Atomgesetz). Elle est entrée en vigueur dans sa version initiale le 1er janvier 1960 après sa publication au Journal Officiel le 31.12.1959 /24/.

Fig 2 Atom_Ei1
Figure 2 : réacteur de recherche « München » à Garching près de Munich, aussi appelé « Atom-Ei (œuf atomique) »

L’utilisation à échelle commerciale de l’énergie nucléaire a débuté en Allemagne avec la centrale nucléaire expérimentale de Kahl (VAK), un réacteur à eau bouillante d’une puissance électrique brute de 16 MW construit par AEG sous licence de General Electric pour le compte des énergéticiens RWE et Bayernwerk, cf. figure 3. C’est en 1961 que pour la première fois en Allemagne l’électricité produite à l’aide de l’énergie nucléaire fut injectée dans le réseau. La centrale, ayant produit environ 2,1 TWh au total, fut mise hors service en 1985 /9/, /12/, /14/.

Fig 3 versuchsatomkraftwerk-kahl-1961
Figure 3 : centrale nucléaire expérimentale de Kahl près de Karlstein am Main (Bavière)/Source RWE

A l’époque les réacteurs à eau bouillante (REB) ont été construits par AEG sous licence de General Electric et les réacteurs à eau pressurisée (REP) par Siemens sous licence de Westinghouse. La percée définitive de la filière des réacteurs à eau légère a eu lieu avec la mise en service des réacteurs de la génération de 250/300 MWe de Gundremmingen A (REB), Obrigheim (REP) et Lingen (REB) entre 1966 et 1968.

Fig 4 enbw-kernkraftwerk-obrigheim_1433777559270
Figure 4 : centrale nucléaire d’Obrigheim au bord du Neckar entre Heidelberg et Heilbronn (Bade-Wurtemberg), équipée d’un réacteur à eau pressurisée. En service de 1968 à 2005, initialement avec une puissance électrique brute de 300 MW, puis 375 MW après une augmentation de puissance en 1985 /source EnBW

En 1969 les pionniers de l’industrie nucléaire allemande, Siemens et AEG, se sont associés dans la société KWU (Kraftwerk Union AG).

L’étape suivante fut la mise en service de la génération d’une puissance électrique de 600 MW en 1971/72 : Würgassen (REB) et Stade (REP).

Fig 5 KKW Würgassen
Figure 5 : centrale nucléaire de Würgassen au bord de la Weser en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, environ 40 km nord ouest de Göttingen, équipée d’un réacteur à eau bouillante d’une puissance électrique brute de 672 MWe, en service de 1971 à 1994. Décision d’arrêt définitif en 1995 pour des raisons économiques/source PreussenElektra

La mise en service de deux réacteurs à eau pressurisée de la génération d’une puissance électrique de 1200/1300 MW à Biblis (tranche A 1974 – 2011, tranche B 1976 – 2011) et de deux réacteurs à eau bouillante d’une puissance électrique de 1300 MW à Gundremmingen (tranche B 1984 – 2017, tranche C 1984 – 2021) visait une standardisation des grands réacteurs à eau pressurisée et à eau bouillante.

Fig 6 Biblis_1
Figure 6 : centrale de Biblis, environ 50 km au sud de Francfort (Hesse) sur le Rhin ; 2 réacteurs à eau pressurisée : tranche A (1225 MWe bruts) mise en service 1974 et tranche B (1300 MWe bruts) mise en service 1976/ source RWE

L’effet de réduction des coûts espéré pour des sites à deux réacteurs quasi identiques n’a cependant pas eu lieu. Les exigences sans cesse croissantes en matière de sûreté ont conduit à toujours plus de systèmes et d’équipements /11/.

Fig 7 Photo 1-kernkraftwerk-gundremmingen
Figure 7 : centrale nucléaire de Gundremmingen près de Günzburg (Bavière) sur le Danube, deux réacteurs à eau bouillante (1344 MWe bruts), tranche C à droite sur la photo, mise en service 1984/source RWE

Par la suite, dans le but de faciliter l’obtention des autorisations administratives et de réduire les délais de construction, la société KWU a développé le concept de « Konvoi » de plusieurs tranches identiques équipées de réacteurs à eau pressurisée (REP) de la génération d’une puissance électrique de 1400 MW. Cette version allemande de la notion de palier, utilisée en France /10/, comporte seulement trois centrales : Isar unité 2, Emsland et Neckarwestheim unité 2). Leur connection au réseau a eu lieu en 1988/1989.

Luftbild
Figure 8 : centrale nucléaire Emsland à Lingen (Basse Saxe) sur le fleuve Ems/réservoir d’eau Geeste, équipée d’un réacteur à eau pressurisée d’une puissance électrique brute de 1406 MWe, mise en service 1988/source RWE

La centrale nucléaire qui n’a pas été construite par KWU en Allemagne est la centrale de Mülheim-Kärlich sur le Rhin près de Coblence. Commandée par RWE, elle est équipée d’un réacteur à eau pressurisée d’une puissance électrique brute de 1302 MWe construit par Brown Boveri Reaktor GmbH (BBR) sous licence de Babcock & Wilcox (États-Unis). La centrale a été mise en service en mars 1986 mais arrêtée en septembre 1988 suite au jugement du Tribunal Administratif Fédéral (Bundesverwaltungsgericht) invalidant le permis de construction /1/, /3/.

Outre la filière des réacteurs à eau légère plusieurs autres filières de réacteurs électronucléaires ont été successivement développées en Allemagne. Les plus importantes sont /3/ :

  • Réacteurs surgénérateurs: le réacteur de recherche KNK 2 d’une puissance électrique de 21 MW, en service entre 1977 et 1991, et le réacteur SNR 300 d’une puissance électrique de 327 MW, construit à partir de 1973 et en grande partie achevé, mais abandonné en 1991 sans être connecté au réseau ;
  • Réacteurs à haute température (concept de réacteur à boulets) : le réacteur de recherche AVR (puissance électrique de 15 MW) mis en service en 1966 mais abandonné en 1988 suite à la décision de ne plus poursuivre cette filière en Allemagne ; le réacteur prototype THTR-300 (puissance électrique de 308 MW), mis en service en 1983 et arrêté définitivement en 1989 pour des raisons économiques, techniques et de sûreté et de la perte d´intérêt des énergéticiens d’investir dans cette technologie ;
  • Réacteurs à eau lourde : le réacteur de recherche à but multiple d’une puissance électrique de 57 MW, le MZFR (Mehrzweckreaktor), en service entre 1966 et 1984. Le MZFR a permis d’acquérir l’expérience dans l’exploitation de réacteurs à eau lourde ; le réacteur de recherche de Niedereichbach d’une puissance électrique de 106 MW, arrêté en 1974 après seulement deux années d’exploitation en raison de problèmes techniques. La filière des réacteurs à eau lourde n’a finalement pas été poursuivie en Allemagne, en revanche Siemens/KWU a vendu deux réacteurs à eau lourde à l’Argentine (Atucha tranche 1 et 2), qui utilisent l’uranium naturel.
  • Réacteurs à eau sous pression soviétiques de type VVER: de nombreuses tranches de technologie soviétique des réacteurs à eau sous pression ont été exploitées en RDA (République démocratique allemande) :
    • Rheinsberg (réacteur de type VVER d’une puissance électrique de 70 MW) : en service de 1966 à 1990 ;
    • Greifswald (8 réacteurs de type VVER 440 d’une puissance électrique unitaire de 440 MW) : mise en service de la tranche 1 en 1973, suivie de la mise en service des tranches 2 à 4 en 1974, 1977 et 1979. La tranche 5, divergée en 1989, n’a plus été connectée au réseau. Les tranches 6 à 8 étaient encore en construction en 1990 ;
    • Stendal (2 réacteurs de type VVER 1000 d’une puissance électrique unitaire de 1000 MW) : les autorités de sûreté de la RDA avait délivré la première autorisation de construction pour les deux tranches en 1982. Après plusieurs années de retard, les travaux de construction ont été définitivement arrêtés en 1990.

Après la réunification en 1990, tous les réacteurs de l’ex-RDA encore en service ont été arrêtés définitivement en raison de « graves risques en matière de sûreté »  /3/ :

Les centrales nucléaires après la réunification de l’Allemagne

Après l’arrêt des centrales nucléaires de l’ex RDA, 20 réacteurs étaient encore en service en 1990, dont 13 réacteurs à eau pressurisée et 7 à eau bouillante, cf. tableau 1.

Tableau 1 Status KKW ab 1990
Tableau 1 : Centrales nucléaires en service après 1990

La centrale nucléaire de Würgassen a été déconnectée du réseau en 1994 et celle de Stade en 2003. L’exploitant E.ON/PreussenElektra avait invoqué des raisons économiques pour justifier l’arrêt définitif de ces deux centrales.

En revanche, l’arrêt définitif de la centrale d’Obrigheim en 2005 est la conséquence de l’accord en 2000 entre la coalition gouvernementale et les énergéticiens sur l’abandon de l’énergie nucléaire qui fut transcrite dans l´amendement à la Loi Atomique en 2002 /1/.

L’arrêt des 17 centrales restantes échelonné de 2011 à 2023 est dû à l’accélération de l’abandon du nucléaire décidée par le gouvernement allemand suite à l´accident de Fukushima /1/. L’arrêt des dernières trois centrales de type « Konvoi » (KKI-2, KKE et GKN-2), initialement prévu fin 2022, a été reporté sur décision du Chancelier Olaf Scholz au 15 avril 2023 face à la crise énergétique, née de la guerre en Ukraine /20/.

La figure 9 montre l’évolution de la puissance électrique nette installée entre 1970 et 2023 selon World Nuclear Association /18/. En 1989, la puissance installée du nucléaire en Allemagne atteint son niveau le plus élevé avec 22,9 GW juste avant l’arrêt des centrales de l’ex RDA.

Fig 9 Puissance nette installee 1970 _ 2022
Figure 9 : Évolution de la puissance électrique nette installée entre 1970 et 2023

Pour plus d’informations voir aussi le système d’information sur les réacteurs de puissance (PRIS) de l’Agence internationale de l’énergie atomique /17/ et le site de la World Nuclear Association sur les centrales nucléaires en Allemagne /18/.

La figure 10 montre les résultats de production brute d’électricité des centrales nucléaires et leur part à la production d’électricité totale depuis la réunification de l’Allemagne en 1990.

Fig 10 Production_pourcentage nucleaire
Figure 10 : Résultats de production brute du nucléaire et pourcentage de la production totale 1990 – 2022

Dans la première décennie 1990 – 2000 les centrales nucléaires ont assuré en moyenne 30% de la production d’électricité totale de l’Allemagne, et un quart en moyenne dans la deuxième décennie 2001 – 2010. Suite à l’abandon accéléré du nucléaire décidé en 2011, leur part à la production totale baisse continuellement de 18% en 2011 à 6% en 2022.

Entre 1990 et 2022 la production cumulée s’élève à environ 4290 TWh. L’électronucléaire a donc assuré l’équivalent de 7 ans de la consommation d’électricité en Allemagne et ainsi économisé environ 4.200 Mt CO2éq, soit environ 900 Mt CO2éq de plus que les énergies renouvelables pendant la même période.

La production d’électricité d’origine décarbonée est en baisse depuis 2020

La production d´électricité en Allemagne a été assurée à seulement 51% par des sources décarbonées en 2022 contre 87% d’origine décarbonée en France /25/. Le charbon (houille et lignite) reste toujours une source importante de production d´électricité outre-Rhin malgré un recul notable au cours de la dernière décennie /2/.

L’hypothèse selon laquelle les énergies renouvelables allaient remplacer le nucléaire ne s’est pas confirmée jusqu’à présent, cf. figure 11. Depuis 2020, la production nette totale bas-carbone (énergies renouvelables et nucléaire) est en baisse /2/. Malgré un développement massif, les énergies renouvelables n´ont pas été en mesure de pallier la perte de production suite à l’abandon progressif du nucléaire. Le bilan de la production bas-carbone s´est encore aggravé depuis l´arrêt des trois centrales nucléaires fin 2021 et retombe en 2022 au niveau de 2017.

Fig 11 Production co2frei 2022
Figure 11 : évolution de la production nette totale bas-carbone (énergies renouvelables et nucléaires)

L’arrêt du nucléaire ne mettrait pas en danger la sécurité d’approvisionnement

Malgré la perte de 6% de la production d’électricité à partir des moyens pilotables et décarbonés, la sécurité d’approvisionnement en électricité ne serait pas en danger selon les affirmations des ministres de l’Environnement et de l’Économie /22/.

Le régulateur (Agence Fédérale des Réseaux) a publié en février 2023 un rapport monitoring sur la sécurité d´approvisionnement en électricité à l´horizon de 2030/31/23/. Même sous l’hypothèse d´une sortie du charbon et d´une augmentation significative de la consommation d´électricité à l’horizon de 2030, le critère de sécurité d’approvisionnement serait respecté avec des marges confortables, à condition qu´une série de mesures soit réalisée du côté de la capacité de production et du réseau. Outre un presque triplement (360 GW) de la capacité éolienne et photovoltaïque d’ici 2030 par rapport à 2022 (134 GW), il est entre autres prévu de construire une capacité de 17 à 21 GW de nouvelles centrales qui fonctionneront au gaz dans un premier temps avant de passer plus tard à l´hydrogène.

Dans l’intervalle, des centrales à charbon ont été réactivées au moins jusqu´au printemps 2024 et resteront au réseau vraisemblablement au-delà. L´espérance d´une réduction des émissions de gaz à effet de serre les prochaines années dans le secteur de l’énergie s´amenuise. 

Etat actuel des centrales nucléaires et devenir des déchets radioactifs

Le tableau 2 résume l’état actuel des centrales nucléaires en Allemagne (hors réacteurs de recherche) /3/. Depuis le 15 avril 2023 6 centrales sont à l’arrêt définitif et 27 centrales en cours de démantèlement. Pour 3 centrales le démantèlement est terminé et le déclassement des installations prononcé par les Autorités de Sûreté.  

Le démantèlement des installations nucléaires durera une quinzaine d’années. Les coûts de démantèlement s’élèvent à environ un milliard d’euros par réacteur /1/. Le fait que le processus de démantèlement soit nettement plus coûteux et plus long que dans d’autres pays s’explique notamment par le fédéralisme allemand : chaque Land a sa propre autorité de sureté nucléaire et interprète différemment les réglementations internationales et nationales. Chaque démantèlement de centrale nucléaire devient ainsi un cas isolé et coûteux.

Tableau 2 Status Rueckbau 06 2022
Tableau 2 : Etat actuel des centrales nucléaires

Les déchets de faible et moyenne activité et à vie courte « FMA – VC » (il s’agit majoritairement des déchets d‘exploitation et de démantèlement des centrales dégageant très peu de chaleur) seront eux stockés à l‘avenir dans l’ancienne mine de fer de Konrad, proche de Salzgitter (Basse-Saxe), pour une mise en service prévue à partir de 2027. Konrad devrait dans un premier temps accueillir environ 300.000 m³ /1/.

Au total, l’exploitation des réacteurs allemands a généré environ 27.000 m3 de déchets de haute et moyenne activité et à vie longue « HA et MA – VL » (combustibles irradiés, déchets vitrifiés de retraitement dégageant de la chaleur). En attendant la mise en service d’un site de stockage final, ces déchets sont stockés dans des conteneurs CASTOR dans des entrepôts temporaires conçus à cet effet, cf. figure 12 /1/.

Fig 12 Hall Castor
Figure 12 : hall de stockage pour conteneurs CASTOR/source EnBW

Le choix d’un site de stockage définitif des déchets radioactifs de haute et moyenne activité et à vie longue accumule les retards /21/. L´objectif initial de 2031 pour la sélection d’un site de stockage définitif a été reporté à un horizon bien plus lointain, 2046 voire 2068 selon les scénarios. L’acheminement du premier colis radioactif vers le futur lieu sélectionné se décale vers un horizon de 2066 à 2088.

Des activités dans le domaine du nucléaire se poursuivent malgré l’abandon de l’électronucléaire

La Loi Atomique (Atomgesetz) n’interdit pas les activités dans d’autres domaines du nucléaire comme l’enrichissement de l’uranium et la fabrication des crayons et des assemblages de combustible. L’exploitation de réacteurs de recherche est également autorisée et la recherche en matière de nucléaire (gestion des déchets nucléaires, radiologie et sûreté nucléaire). La recherche en matière de science et technologie de la fusion nucléaire contrôlée sera également poursuivie.

Usines d’approvisionnement en combustible nucléaire

En Allemagne, les installations suivantes sont actuellement en service pour l’approvisionnement en combustible nucléaire /3/, /4/, /5/ :

  • Usine d’enrichissement de l’uranium à Gronau
  • Usine de fabrication de combustibles à Lingen

Le parti « Die Linke » (en français « La Gauche ») a déposé en septembre 2022 une proposition au parlement demandant l’arrêt immédiat des deux usines /7/.  Bien que les Verts dans la coalition gouvernementale souhaitent que la fabrication et l’exportation de combustible nucléaire prennent fin, aucun accord n’avait été conclu en ce sens dans le contrat de coalition.

Les usines ayant un permis d’exploitation valable, les obstacles juridiques à leur fermeture sont élevés. De plus, un accord des trois partis au gouvernement sur l’arrêt des usines d’approvisionnement en combustible nucléaire semble peu probable pour le moment à la grande déception des organisations anti-nucléaires.

Usine d’enrichissement de l’uranium à Gronau

L’usine d’enrichissement d’uranium à Gronau, située au nord-ouest de l’Allemagne près de la frontière avec les Pays-Bas, est exploitée par la société Urenco Deutschland GmbH, une filiale d’Urenco Enrichement Company Limited, cf. figure 13. Urenco Limited est détenue pour un tiers par l’État britannique, un tiers par l’État néerlandais et pour un tiers par les énergéticiens allemands PreussenElektra et RWE Power.

La première usine (UTA-1) a été mise en service en 1985 et a atteint en 2005 sa pleine capacité de 1,8 millions d’UTS par an. Une deuxième usine (UTA-2) ayant reçu en 2005 l’autorisation pour une capacité de 2,7 millions d’UTS porte la capacité totale jusqu’à 4,5 millions d’UTS par an. L’usine UTA-2 a été mise en service en 2011 et est depuis en constante expansion. La technique d’ultracentrifugation est employée dans les deux usines pour une concentration maximale autorisée de 6% /3/, /4/.

La production moyenne des usines à Gronau se situerait actuellement autour de 3,7 millions d’UTS/an selon /13/.

Fig 13 Urenco Gronau 2015_39
Figure 13 : usine d’enrichissement de l’uranium à Gronau en Rhénanie-du-Nord-Westphalie/source Urenco

Usine de fabrication de combustible nucléaire à Lingen

L’usine d’Advanced Nuclear Fuels (ANF) GmbH, filiale de Framatome GmbH, située en Basse-Saxe à Lingen (Ems), fabrique des crayons et des assemblages de combustible contenant au maximum 5 % d’uranium 235, destinés à être utilisés principalement dans les réacteurs à eau légère livrés aux clients du monde entier /8/, cf. figure 14. La fabrication a débuté en 1979.

Framatome - Advanced Nuclear Fuels GmbH
Figure 14 : Usine de fabrication de combustible nucléaire à Lingen /source Framatome

La capacité autorisée de traitement des fours de conversion est fixée à 800 Mg/a et à 650 Mg/a pour les autres sous-unités /3/, 4/.

L’usine en Allemagne fournit également les composants et les matières premières destinés aux autres usines de fabrication de combustible de Framatome implantées en Europe et aux États-Unis.

Réacteurs de recherche

L’Allemagne compte au total 46 réacteurs de recherche dont 6 sont encore en fonctionnement /3/, /5/.

Outre quatre réacteurs d’enseignement dit « de puissance nulle » (Pth ≤ 2 W), deux réacteurs de recherche d’une puissance thermique de plus de 50 kW sont encore en service :

  • Réacteur de recherche München à Garching (FRM-II) de l’Université technique de Munich, Pth = 20 MW, mise en service 2004 ;
  • Réacteur de recherche Mainz (TRIGA Mark II) de l’Université de Mainz, Pth = 100 kW en continue et Pth = 250 MW pendant 30 ms, mise en service 1965.

Recherche & Développement

Malgré l’abandon de l’électronucléaire, l’Allemagne poursuivra ses activités de Recherche & Développement non seulement dans le domaine de la gestion des déchets nucléaires et de radiologie mais aussi dans le domaine de la sûreté nucléaire /15/. Ne serait-ce que pour respecter les obligations internationales de l’Allemagne vis-à-vis de l’Union européenne (Euratom) et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

L’augmentation de la demande mondiale en énergie exige, selon le gouvernement allemand, d’explorer une large palette d’options pour l’approvisionnement énergétique futur. C’est pour cela que l’Allemagne se voit dans la responsabilité de faire progresser les connaissances en matière de science et technologie de la fusion nucléaire contrôlée et la physique des plasmas.

L’Allemagne participe au projet ITER via l’Union Européenne et exploite aussi un des plus grands stellarateurs, le Wendelstein 7-X, basé à Greifswald en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. Le stellarateur, exploité par l’Institut Max-Planck, apportera des éléments complémentaires avec ITER. Le premier plasma a été produit en décembre 2015 /16/.

Conclusion

Au cours des six dernières décennies, les centrales nucléaires en Allemagne ont pu être exploitées de manière efficiente et sûre sans événements majeurs.

Depuis quarante ans il y a toujours des centrales allemandes dans le top 10 mondial de la production d´électricité annuelle, ce qui prouve l´excellente qualité et la bonne disponibilité malgré un cadre politique et médiatique souvent hostile au nucléaire /1/.

Poussée par des principes purement idéologiques, l’Allemagne a abandonné l’électronucléaire définitivement le 15 avril 2023. Nous verrons bien si cette décision était justifiée ou une grave erreur en se privant des moyens pilotables, fiables et d’un coût abordable, qui ont contribué à l’atténuation des effets négatifs des changements climatiques.

Selon un sondage de la première chaine de télévision allemande (ARD-DeutschlandTrend), publié le 14 avril 2023, une majorité des sondés est contre la fermeture des dernières centrales nucléaires. Six personnes interrogées sur dix (59%) trouvent que la décision du gouvernement est mauvaise, alors que seul un tiers (34%) la jugent bonne /19/. Une grande partie des personnes interrogées craignent aussi que le tournant vers toujours plus d’énergies renouvelables s’accompagne d’une nouvelle hausse des prix de l’énergie.

Références

/1/ Allemagne Energies (1) Historique de la sortie du nucléaire. En ligne : https://allemagne-energies.com/sortie-du-nucleaire/

/2/Allemagne Energies (2023) Allemagne : les chiffres clés de l´énergie en 2022. En ligne : https://allemagne-energies.com/2023/01/07/allemagne-les-chiffres-cles-de-lenergie-en-2022/

/3/ BASE (2022) Statusbericht zur Kernenergienutzung in der Bundesrepublik Deutschland 2021, BASE-N-01/22, URN 0221-2022090934227, Bundesamt für die Sicherheit der nuklearen Entsorgung (BASE) , en ligne : https://www.base.bund.de/SharedDocs/Kurzmeldungen/BASE/DE/2022/statusbericht-kernenergienutzung-2021.html

/4/ BASE (2022) Anlagen der Kernbrennstoffversorgung und -entsorgung, Bundesamt für die Sicherheit der nuklearen Entsorgung (BASE), en ligne : https://www.base.bund.de/DE/themen/kt/kta-deutschland/kta-uebersicht/versorgung-entsorgung/versorgung-entsorgung.html;jsessionid=A0173D01BF26042923AB903459F79F34.internet011

/5/ BASE (2022) Forschungsreaktoren, Bundesamt für die Sicherheit der nuklearen Entsorgung (BASE), en ligne : https://www.base.bund.de/DE/themen/kt/kta-deutschland/kta-uebersicht/forschungsreaktoren/forschungsreaktoren.html;jsessionid=A0173D01BF26042923AB903459F79F34.internet011

/6/ BMWi (2022) Zahlen und Fakten: Energiedaten, Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz, en ligne : https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Artikel/Energie/energiedaten-gesamtausgabe.html

/7/ Deutscher Bundestag (2022), Antrag auf Stilllegung der Uranfabriken Gronau und Lingen – Exportverbot für Kernbrennstoffe (Fraktion die Linke), Drucksache 20/3616 du 22.09.2022, en ligne : https://dip.bundestag.de/vorgang/stilllegung-der-uranfabriken-gronau-und-lingen-exportverbot-f%C3%BCr-kernbrennstoffe/291534?f.wahlperiode=20&rows=25&pos=2

/8/ Framatome Lingen, ANF, en ligne : https://www.framatome.com/fr/implantations/lingen/

(9/ KernD (2023) Geschichte der Kernenergie, Kerntechnik Deutschland e.V., en ligne : https://www.kernd.de/kernd/Politik-und-Gesellschaft/Geschichte-der-Kernenergie/

/10/ Leclercq, Jacques (1986) L’ère nucléaire, Hachette, 1986, 414 pages, ISBN 2-85108-439-9

/11/ Michaelis, Hans et Salander, Carsten (1995) Handbuch Kernenergie, Kompendium der Energiewirtschaft und Energiepolitik, VWEW-Verlag, ISBN 3-8022-0426-3

/12/ TUM (2014) Atom-Ei wird entkernt, Technische Universität München, en ligne : https://www.frm2.tum.de/frm2/aktuelles-medien/presse/newsarchiv/news-single-view/article/atom-ei-wird-entkernt/

/13/ URENCO Deutschland, en ligne : https://www.urenco.com/global-operations/urenco-deutschland

/14/ VDE (2020) Versuchsatomkraftwerk Kahl GmbH, Verband der Elektrotechnik Elektronik und Informationstechnik e.V., en ligne : https://www.vde.com/de/geschichte/karte/bayern/versuchsatomkraftwerk-kahl

/15/ BMWi (2018) 7. Energieforschungsprogramm der Bundesregierung, Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz, en ligne : https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Publikationen/Energie/7-energieforschungsprogramm-der-bundesregierung.html

/16/ Max-Planck-Institut Wendelstein 7-X, en ligne : https://www.ipp.mpg.de/wendelstein7x

/17/ IAEA (2023) Power Reactor Information System (PRIS), Allemagne, International Atomic Energy Agency, en ligne : https://pris.iaea.org/pris/CountryStatistics/CountryDetails.aspx?current=DE

/18/ WNA (2022) Nuclear Power in Germany, World Nuclear Association, en ligne : https://world-nuclear.org/information-library/country-profiles/countries-g-n/germany.aspx

/19/ Tagesschau (2023) Mehrheit ist gegen Atomausstieg, ARD, DeutschlandTrend14.04.2023, en ligne : https://www.tagesschau.de/inland/deutschlandtrend/deutschlandtrend-3357.html

/20/ Allemagne Energies 2022 Prolongation des trois dernières centrales nucléaires allemandes sur décision du Chancelier – Modification de la Loi Atomique adoptée par le conseil des ministres, en ligne : https://allemagne-energies.com/2022/10/20/prolongation-des-trois-dernieres-centrales-nucleaires-allemandes-sur-decision-du-chancelier-modification-de-la-loi-atomique-adoptee-par-le-conseil-des-ministres/

/21/ Allemagne Energies (2022)  Allemagne : la sélection d´un site de stockage définitif des déchets radioactifs de haute et moyenne activité et à vie longue renvoyée aux calendes grecques, en ligne : https://allemagne-energies.com/2022/11/17/allemagne-la-selection-dun-site-de-stockage-definitif-des-dechets-radioactifs-de-haute-et-moyenne-activite-et-a-vie-longue-renvoyee-aux-calendes-grecques/

/22/ BMWK/BMU (2023) Deutschland beendet das Zeitalter der Atomkraft, Communiqué de presse commun du 13.04.2023, Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz, Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz, nukleare Sicherheit und Verbraucherschutz, en ligne : https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Pressemitteilungen/2023/04/20230413-deutschland-beendet-das-zeitalter-der-atomkraft.html

/23/ Allemagne Energies Le tournant énergétique allemand, en ligne :  Sécurité d´approvisionnement

/24/ Fischerhof, Hans (1978) Deutsches Atomgesetz und Strahlenschutzrecht, Volume I, 1069 pages, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, ISBN 3-7890-0393-X

/25/ RTE (2023) Bilan électrique 2022, RTE – Réseau de transport d´électricité. En ligne : https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilans-electriques-nationaux-et-regionaux