Clap de fin pour l’électronucléaire en Allemagne

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Les trois dernières centrales nucléaires (Emsland, Neckarwestheim unité 2 et Isar unité 2) d´une puissance totale nette de 4055 MW ont été arrêtées définitivement le 15 avril 2023, 21 ans après la décision de l’Allemagne de sortir de l’électronucléaire.

Initialement, les trois derniers réacteurs devaient fermer le 31 décembre 2022, mais leur arrêt définitif a été reporté sur décision du Chancelier Olaf Scholz. Objectif : sécuriser l’approvisionnement en électricité du pays face au risque d’une pénurie de gaz l’hiver 2022/23.

L’Allemagne perd 6% de sa production d’électricité à partir des moyens pilotables et décarbonés mais la sécurité d’approvisionnement serait assurée selon les ministres de l’Environnement et de l’Économie.

En attendant la mise en service de nouvelles centrales qui fonctionneront au gaz dans un premier temps avant de passer plus tard à l´hydrogène, des centrales à charbon ont été réactivées au moins jusqu´au printemps 2024 et resteront au réseau vraisemblablement au-delà.

C’est la fin d’une ère qui a commencé en 1955 avec la levée de l’interdiction de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire en Allemagne puis l’entrée en vigueur de la Loi Atomique (Atomgesetz) au premier janvier 1960.

Les centrales nucléaires ont produit environ 4.290 TWh bruts depuis la réunification de l’Allemagne en 1990. Cela correspond à environ 7 ans de la consommation brute de l’Allemagne et a économisé environ 4.200 Mt CO2éq soit environ 900 Mt CO2éq de plus que les énergies renouvelables pendant la même période.

Poussée par des principes purement idéologiques, l’Allemagne abandonne l’électronucléaire définitivement après six décennies d’exploitation de manière efficiente et sûre sans événements majeurs. Nous verrons bien si cette décision était justifiée ou une grave erreur en se privant d’une énergie propre, fiable et d’un coût abordable, qui contribue à l’atténuation des effets négatifs des changements climatiques.

Selon un récent sondage de la première chaine de télévision allemande, la majorité des Allemands est contre la fermeture des dernières centrales nucléaires.

Toutefois, la Loi Atomique (Atomgesetz) n’interdit pas les activités dans d’autres domaines du nucléaire comme l’enrichissement de l’uranium et la fabrication des crayons et des assemblages de combustible. L’exploitation de réacteurs de recherche est également autorisée.

De plus, il est prévu de poursuivre les recherches dans différents domaines du nucléaire (gestion des déchets nucléaires, radiologie et sûreté nucléaire). L’Allemagne poursuivra également la recherche en matière de fusion nucléaire contrôlée. Un des plus grands stellarateurs, le Wendelstein 7-X, a été mis en service en 2015 à Greifswald (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale).

Fig 1 Biblis Reaktorgebäude
Figure 1 : centrale nucléaire de Biblis : piscine d’entreposage des assemblages combustibles

Développement des réacteurs nucléaires en Allemagne depuis les années cinquante

Le premier réacteur mis en service en Allemagne fut le réacteur de recherche « München » en octobre 1957 à Garching près de Munich en Bavière, cf. figure 2. Ce réacteur qui appartenait à l’Université technique de Munich était aussi appelé « Atom-Ei von Garching (œuf atomique de Garching) » du fait de sa coupole en forme d’œuf. Sa puissance thermique a été progressivement augmentée de 1 à 4 MWth. Il a été mis hors service en 2000 /12/.

La base légale de l’utilisation de l’énergie nucléaire en Allemagne est la Loi Atomique (Atomgesetz). Elle est entrée en vigueur dans sa version initiale le 1er janvier 1960 après sa publication au Journal Officiel le 31.12.1959 /24/.

Fig 2 Atom_Ei1
Figure 2 : réacteur de recherche « München » à Garching près de Munich, aussi appelé « Atom-Ei (œuf atomique) »

L’utilisation à échelle commerciale de l’énergie nucléaire a débuté en Allemagne avec la centrale nucléaire expérimentale de Kahl (VAK), un réacteur à eau bouillante d’une puissance électrique brute de 16 MW construit par AEG sous licence de General Electric pour le compte des énergéticiens RWE et Bayernwerk, cf. figure 3. C’est en 1961 que pour la première fois en Allemagne l’électricité produite à l’aide de l’énergie nucléaire fut injectée dans le réseau. La centrale, ayant produit environ 2,1 TWh au total, fut mise hors service en 1985 /9/, /12/, /14/.

Fig 3 versuchsatomkraftwerk-kahl-1961
Figure 3 : centrale nucléaire expérimentale de Kahl près de Karlstein am Main (Bavière)/Source RWE

A l’époque les réacteurs à eau bouillante (REB) ont été construits par AEG sous licence de General Electric et les réacteurs à eau pressurisée (REP) par Siemens sous licence de Westinghouse. La percée définitive de la filière des réacteurs à eau légère a eu lieu avec la mise en service des réacteurs de la génération de 250/300 MWe de Gundremmingen A (REB), Obrigheim (REP) et Lingen (REB) entre 1966 et 1968.

Fig 4 enbw-kernkraftwerk-obrigheim_1433777559270
Figure 4 : centrale nucléaire d’Obrigheim au bord du Neckar entre Heidelberg et Heilbronn (Bade-Wurtemberg), équipée d’un réacteur à eau pressurisée. En service de 1968 à 2005, initialement avec une puissance électrique brute de 300 MW, puis 375 MW après une augmentation de puissance en 1985 /source EnBW

En 1969 les pionniers de l’industrie nucléaire allemande, Siemens et AEG, se sont associés dans la société KWU (Kraftwerk Union AG).

L’étape suivante fut la mise en service de la génération d’une puissance électrique de 600 MW en 1971/72 : Würgassen (REB) et Stade (REP).

Fig 5 KKW Würgassen
Figure 5 : centrale nucléaire de Würgassen au bord de la Weser en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, environ 40 km nord ouest de Göttingen, équipée d’un réacteur à eau bouillante d’une puissance électrique brute de 672 MWe, en service de 1971 à 1994. Décision d’arrêt définitif en 1995 pour des raisons économiques/source PreussenElektra

La mise en service de deux réacteurs à eau pressurisée de la génération d’une puissance électrique de 1200/1300 MW à Biblis (tranche A 1974 – 2011, tranche B 1976 – 2011) et de deux réacteurs à eau bouillante d’une puissance électrique de 1300 MW à Gundremmingen (tranche B 1984 – 2017, tranche C 1984 – 2021) visait une standardisation des grands réacteurs à eau pressurisée et à eau bouillante.

Fig 6 Biblis_1
Figure 6 : centrale de Biblis, environ 50 km au sud de Francfort (Hesse) sur le Rhin ; 2 réacteurs à eau pressurisée : tranche A (1225 MWe bruts) mise en service 1974 et tranche B (1300 MWe bruts) mise en service 1976/ source RWE

L’effet de réduction des coûts espéré pour des sites à deux réacteurs quasi identiques n’a cependant pas eu lieu. Les exigences sans cesse croissantes en matière de sûreté ont conduit à toujours plus de systèmes et d’équipements /11/.

Fig 7 Photo 1-kernkraftwerk-gundremmingen
Figure 7 : centrale nucléaire de Gundremmingen près de Günzburg (Bavière) sur le Danube, deux réacteurs à eau bouillante (1344 MWe bruts), tranche C à droite sur la photo, mise en service 1984/source RWE

Par la suite, dans le but de faciliter l’obtention des autorisations administratives et de réduire les délais de construction, la société KWU a développé le concept de « Konvoi » de plusieurs tranches identiques équipées de réacteurs à eau pressurisée (REP) de la génération d’une puissance électrique de 1400 MW. Cette version allemande de la notion de palier, utilisée en France /10/, comporte seulement trois centrales : Isar unité 2, Emsland et Neckarwestheim unité 2). Leur connection au réseau a eu lieu en 1988/1989.

Luftbild
Figure 8 : centrale nucléaire Emsland à Lingen (Basse Saxe) sur le fleuve Ems/réservoir d’eau Geeste, équipée d’un réacteur à eau pressurisée d’une puissance électrique brute de 1406 MWe, mise en service 1988/source RWE

La centrale nucléaire qui n’a pas été construite par KWU en Allemagne est la centrale de Mülheim-Kärlich sur le Rhin près de Coblence. Commandée par RWE, elle est équipée d’un réacteur à eau pressurisée d’une puissance électrique brute de 1302 MWe construit par Brown Boveri Reaktor GmbH (BBR) sous licence de Babcock & Wilcox (États-Unis). La centrale a été mise en service en mars 1986 mais arrêtée en septembre 1988 suite au jugement du Tribunal Administratif Fédéral (Bundesverwaltungsgericht) invalidant le permis de construction /1/, /3/.

Outre la filière des réacteurs à eau légère plusieurs autres filières de réacteurs électronucléaires ont été successivement développées en Allemagne. Les plus importantes sont /3/ :

  • Réacteurs surgénérateurs: le réacteur de recherche KNK 2 d’une puissance électrique de 21 MW, en service entre 1977 et 1991, et le réacteur SNR 300 d’une puissance électrique de 327 MW, construit à partir de 1973 et en grande partie achevé, mais abandonné en 1991 sans être connecté au réseau ;
  • Réacteurs à haute température (concept de réacteur à boulets) : le réacteur de recherche AVR (puissance électrique de 15 MW) mis en service en 1966 mais abandonné en 1988 suite à la décision de ne plus poursuivre cette filière en Allemagne ; le réacteur prototype THTR-300 (puissance électrique de 308 MW), mis en service en 1983 et arrêté définitivement en 1989 pour des raisons économiques, techniques et de sûreté et de la perte d´intérêt des énergéticiens d’investir dans cette technologie ;
  • Réacteurs à eau lourde : le réacteur de recherche à but multiple d’une puissance électrique de 57 MW, le MZFR (Mehrzweckreaktor), en service entre 1966 et 1984. Le MZFR a permis d’acquérir l’expérience dans l’exploitation de réacteurs à eau lourde ; le réacteur de recherche de Niedereichbach d’une puissance électrique de 106 MW, arrêté en 1974 après seulement deux années d’exploitation en raison de problèmes techniques. La filière des réacteurs à eau lourde n’a finalement pas été poursuivie en Allemagne, en revanche Siemens/KWU a vendu deux réacteurs à eau lourde à l’Argentine (Atucha tranche 1 et 2), qui utilisent l’uranium naturel.
  • Réacteurs à eau sous pression soviétiques de type VVER: de nombreuses tranches de technologie soviétique des réacteurs à eau sous pression ont été exploitées en RDA (République démocratique allemande) :
    • Rheinsberg (réacteur de type VVER d’une puissance électrique de 70 MW) : en service de 1966 à 1990 ;
    • Greifswald (8 réacteurs de type VVER 440 d’une puissance électrique unitaire de 440 MW) : mise en service de la tranche 1 en 1973, suivie de la mise en service des tranches 2 à 4 en 1974, 1977 et 1979. La tranche 5, divergée en 1989, n’a plus été connectée au réseau. Les tranches 6 à 8 étaient encore en construction en 1990 ;
    • Stendal (2 réacteurs de type VVER 1000 d’une puissance électrique unitaire de 1000 MW) : les autorités de sûreté de la RDA avait délivré la première autorisation de construction pour les deux tranches en 1982. Après plusieurs années de retard, les travaux de construction ont été définitivement arrêtés en 1990.

Après la réunification en 1990, tous les réacteurs de l’ex-RDA encore en service ont été arrêtés définitivement en raison de « graves risques en matière de sûreté »  /3/ :

Les centrales nucléaires après la réunification de l’Allemagne

Après l’arrêt des centrales nucléaires de l’ex RDA, 20 réacteurs étaient encore en service en 1990, dont 13 réacteurs à eau pressurisée et 7 à eau bouillante, cf. tableau 1.

Tableau 1 Status KKW ab 1990
Tableau 1 : Centrales nucléaires en service après 1990

La centrale nucléaire de Würgassen a été déconnectée du réseau en 1994 et celle de Stade en 2003. L’exploitant E.ON/PreussenElektra avait invoqué des raisons économiques pour justifier l’arrêt définitif de ces deux centrales.

En revanche, l’arrêt définitif de la centrale d’Obrigheim en 2005 est la conséquence de l’accord en 2000 entre la coalition gouvernementale et les énergéticiens sur l’abandon de l’énergie nucléaire qui fut transcrite dans l´amendement à la Loi Atomique en 2002 /1/.

L’arrêt des 17 centrales restantes échelonné de 2011 à 2023 est dû à l’accélération de l’abandon du nucléaire décidée par le gouvernement allemand suite à l´accident de Fukushima /1/. L’arrêt des dernières trois centrales de type « Konvoi » (KKI-2, KKE et GKN-2), initialement prévu fin 2022, a été reporté sur décision du Chancelier Olaf Scholz au 15 avril 2023 face à la crise énergétique, née de la guerre en Ukraine /20/.

La figure 9 montre l’évolution de la puissance électrique nette installée entre 1970 et 2023 selon World Nuclear Association /18/. En 1989, la puissance installée du nucléaire en Allemagne atteint son niveau le plus élevé avec 22,9 GW juste avant l’arrêt des centrales de l’ex RDA.

Fig 9 Puissance nette installee 1970 _ 2022
Figure 9 : Évolution de la puissance électrique nette installée entre 1970 et 2023

Pour plus d’informations voir aussi le système d’information sur les réacteurs de puissance (PRIS) de l’Agence internationale de l’énergie atomique /17/ et le site de la World Nuclear Association sur les centrales nucléaires en Allemagne /18/.

La figure 10 montre les résultats de production brute d’électricité des centrales nucléaires et leur part à la production d’électricité totale depuis la réunification de l’Allemagne en 1990.

Fig 10 Production_pourcentage nucleaire
Figure 10 : Résultats de production brute du nucléaire et pourcentage de la production totale 1990 – 2022

Dans la première décennie 1990 – 2000 les centrales nucléaires ont assuré en moyenne 30% de la production d’électricité totale de l’Allemagne, et un quart en moyenne dans la deuxième décennie 2001 – 2010. Suite à l’abandon accéléré du nucléaire décidé en 2011, leur part à la production totale baisse continuellement de 18% en 2011 à 6% en 2022.

Entre 1990 et 2022 la production cumulée s’élève à environ 4290 TWh. L’électronucléaire a donc assuré l’équivalent de 7 ans de la consommation d’électricité en Allemagne et ainsi économisé environ 4.200 Mt CO2éq, soit environ 900 Mt CO2éq de plus que les énergies renouvelables pendant la même période.

La production d’électricité d’origine décarbonée est en baisse depuis 2020

La production d´électricité en Allemagne a été assurée à seulement 51% par des sources décarbonées en 2022 contre 87% d’origine décarbonée en France /25/. Le charbon (houille et lignite) reste toujours une source importante de production d´électricité outre-Rhin malgré un recul notable au cours de la dernière décennie /2/.

L’hypothèse selon laquelle les énergies renouvelables allaient remplacer le nucléaire ne s’est pas confirmée jusqu’à présent, cf. figure 11. Depuis 2020, la production nette totale bas-carbone (énergies renouvelables et nucléaire) est en baisse /2/. Malgré un développement massif, les énergies renouvelables n´ont pas été en mesure de pallier la perte de production suite à l’abandon progressif du nucléaire. Le bilan de la production bas-carbone s´est encore aggravé depuis l´arrêt des trois centrales nucléaires fin 2021 et retombe en 2022 au niveau de 2017.

Fig 11 Production co2frei 2022
Figure 11 : évolution de la production nette totale bas-carbone (énergies renouvelables et nucléaires)

L’arrêt du nucléaire ne mettrait pas en danger la sécurité d’approvisionnement

Malgré la perte de 6% de la production d’électricité à partir des moyens pilotables et décarbonés, la sécurité d’approvisionnement en électricité ne serait pas en danger selon les affirmations des ministres de l’Environnement et de l’Économie /22/.

Le régulateur (Agence Fédérale des Réseaux) a publié en février 2023 un rapport monitoring sur la sécurité d´approvisionnement en électricité à l´horizon de 2030/31/23/. Même sous l’hypothèse d´une sortie du charbon et d´une augmentation significative de la consommation d´électricité à l’horizon de 2030, le critère de sécurité d’approvisionnement serait respecté avec des marges confortables, à condition qu´une série de mesures soit réalisée du côté de la capacité de production et du réseau. Outre un presque triplement (360 GW) de la capacité éolienne et photovoltaïque d’ici 2030 par rapport à 2022 (134 GW), il est entre autres prévu de construire une capacité de 17 à 21 GW de nouvelles centrales qui fonctionneront au gaz dans un premier temps avant de passer plus tard à l´hydrogène.

Dans l’intervalle, des centrales à charbon ont été réactivées au moins jusqu´au printemps 2024 et resteront au réseau vraisemblablement au-delà. L´espérance d´une réduction des émissions de gaz à effet de serre les prochaines années dans le secteur de l’énergie s´amenuise. 

Etat actuel des centrales nucléaires et devenir des déchets radioactifs

Le tableau 2 résume l’état actuel des centrales nucléaires en Allemagne (hors réacteurs de recherche) /3/. Depuis le 15 avril 2023 6 centrales sont à l’arrêt définitif et 27 centrales en cours de démantèlement. Pour 3 centrales le démantèlement est terminé et le déclassement des installations prononcé par les Autorités de Sûreté.  

Le démantèlement des installations nucléaires durera une quinzaine d’années. Les coûts de démantèlement s’élèvent à environ un milliard d’euros par réacteur /1/. Le fait que le processus de démantèlement soit nettement plus coûteux et plus long que dans d’autres pays s’explique notamment par le fédéralisme allemand : chaque Land a sa propre autorité de sureté nucléaire et interprète différemment les réglementations internationales et nationales. Chaque démantèlement de centrale nucléaire devient ainsi un cas isolé et coûteux.

Tableau 2 Status Rueckbau 06 2022
Tableau 2 : Etat actuel des centrales nucléaires

Les déchets de faible et moyenne activité et à vie courte « FMA – VC » (il s’agit majoritairement des déchets d‘exploitation et de démantèlement des centrales dégageant très peu de chaleur) seront eux stockés à l‘avenir dans l’ancienne mine de fer de Konrad, proche de Salzgitter (Basse-Saxe), pour une mise en service prévue à partir de 2027. Konrad devrait dans un premier temps accueillir environ 300.000 m³ /1/.

Au total, l’exploitation des réacteurs allemands a généré environ 27.000 m3 de déchets de haute et moyenne activité et à vie longue « HA et MA – VL » (combustibles irradiés, déchets vitrifiés de retraitement dégageant de la chaleur). En attendant la mise en service d’un site de stockage final, ces déchets sont stockés dans des conteneurs CASTOR dans des entrepôts temporaires conçus à cet effet, cf. figure 12 /1/.

Fig 12 Hall Castor
Figure 12 : hall de stockage pour conteneurs CASTOR/source EnBW

Le choix d’un site de stockage définitif des déchets radioactifs de haute et moyenne activité et à vie longue accumule les retards /21/. L´objectif initial de 2031 pour la sélection d’un site de stockage définitif a été reporté à un horizon bien plus lointain, 2046 voire 2068 selon les scénarios. L’acheminement du premier colis radioactif vers le futur lieu sélectionné se décale vers un horizon de 2066 à 2088.

Des activités dans le domaine du nucléaire se poursuivent malgré l’abandon de l’électronucléaire

La Loi Atomique (Atomgesetz) n’interdit pas les activités dans d’autres domaines du nucléaire comme l’enrichissement de l’uranium et la fabrication des crayons et des assemblages de combustible. L’exploitation de réacteurs de recherche est également autorisée et la recherche en matière de nucléaire (gestion des déchets nucléaires, radiologie et sûreté nucléaire). La recherche en matière de science et technologie de la fusion nucléaire contrôlée sera également poursuivie.

Usines d’approvisionnement en combustible nucléaire

En Allemagne, les installations suivantes sont actuellement en service pour l’approvisionnement en combustible nucléaire /3/, /4/, /5/ :

  • Usine d’enrichissement de l’uranium à Gronau
  • Usine de fabrication de combustibles à Lingen

Le parti « Die Linke » (en français « La Gauche ») a déposé en septembre 2022 une proposition au parlement demandant l’arrêt immédiat des deux usines /7/.  Bien que les Verts dans la coalition gouvernementale souhaitent que la fabrication et l’exportation de combustible nucléaire prennent fin, aucun accord n’avait été conclu en ce sens dans le contrat de coalition.

Les usines ayant un permis d’exploitation valable, les obstacles juridiques à leur fermeture sont élevés. De plus, un accord des trois partis au gouvernement sur l’arrêt des usines d’approvisionnement en combustible nucléaire semble peu probable pour le moment à la grande déception des organisations anti-nucléaires.

Usine d’enrichissement de l’uranium à Gronau

L’usine d’enrichissement d’uranium à Gronau, située au nord-ouest de l’Allemagne près de la frontière avec les Pays-Bas, est exploitée par la société Urenco Deutschland GmbH, une filiale d’Urenco Enrichement Company Limited, cf. figure 13. Urenco Limited est détenue pour un tiers par l’État britannique, un tiers par l’État néerlandais et pour un tiers par les énergéticiens allemands PreussenElektra et RWE Power.

La première usine (UTA-1) a été mise en service en 1985 et a atteint en 2005 sa pleine capacité de 1,8 millions d’UTS par an. Une deuxième usine (UTA-2) ayant reçu en 2005 l’autorisation pour une capacité de 2,7 millions d’UTS porte la capacité totale jusqu’à 4,5 millions d’UTS par an. L’usine UTA-2 a été mise en service en 2011 et est depuis en constante expansion. La technique d’ultracentrifugation est employée dans les deux usines pour une concentration maximale autorisée de 6% /3/, /4/.

La production moyenne des usines à Gronau se situerait actuellement autour de 3,7 millions d’UTS/an selon /13/.

Fig 13 Urenco Gronau 2015_39
Figure 13 : usine d’enrichissement de l’uranium à Gronau en Rhénanie-du-Nord-Westphalie/source Urenco

Usine de fabrication de combustible nucléaire à Lingen

L’usine d’Advanced Nuclear Fuels (ANF) GmbH, filiale de Framatome GmbH, située en Basse-Saxe à Lingen (Ems), fabrique des crayons et des assemblages de combustible contenant au maximum 5 % d’uranium 235, destinés à être utilisés principalement dans les réacteurs à eau légère livrés aux clients du monde entier /8/, cf. figure 14. La fabrication a débuté en 1979.

Framatome - Advanced Nuclear Fuels GmbH
Figure 14 : Usine de fabrication de combustible nucléaire à Lingen /source Framatome

La capacité autorisée de traitement des fours de conversion est fixée à 800 Mg/a et à 650 Mg/a pour les autres sous-unités /3/, 4/.

L’usine en Allemagne fournit également les composants et les matières premières destinés aux autres usines de fabrication de combustible de Framatome implantées en Europe et aux États-Unis.

Réacteurs de recherche

L’Allemagne compte au total 46 réacteurs de recherche dont 6 sont encore en fonctionnement /3/, /5/.

Outre quatre réacteurs d’enseignement dit « de puissance nulle » (Pth ≤ 2 W), deux réacteurs de recherche d’une puissance thermique de plus de 50 kW sont encore en service :

  • Réacteur de recherche München à Garching (FRM-II) de l’Université technique de Munich, Pth = 20 MW, mise en service 2004 ;
  • Réacteur de recherche Mainz (TRIGA Mark II) de l’Université de Mainz, Pth = 100 kW en continue et Pth = 250 MW pendant 30 ms, mise en service 1965.

Recherche & Développement

Malgré l’abandon de l’électronucléaire, l’Allemagne poursuivra ses activités de Recherche & Développement non seulement dans le domaine de la gestion des déchets nucléaires et de radiologie mais aussi dans le domaine de la sûreté nucléaire /15/. Ne serait-ce que pour respecter les obligations internationales de l’Allemagne vis-à-vis de l’Union européenne (Euratom) et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

L’augmentation de la demande mondiale en énergie exige, selon le gouvernement allemand, d’explorer une large palette d’options pour l’approvisionnement énergétique futur. C’est pour cela que l’Allemagne se voit dans la responsabilité de faire progresser les connaissances en matière de science et technologie de la fusion nucléaire contrôlée et la physique des plasmas.

L’Allemagne participe au projet ITER via l’Union Européenne et exploite aussi un des plus grands stellarateurs, le Wendelstein 7-X, basé à Greifswald en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. Le stellarateur, exploité par l’Institut Max-Planck, apportera des éléments complémentaires avec ITER. Le premier plasma a été produit en décembre 2015 /16/.

Conclusion

Au cours des six dernières décennies, les centrales nucléaires en Allemagne ont pu être exploitées de manière efficiente et sûre sans événements majeurs.

Depuis quarante ans il y a toujours des centrales allemandes dans le top 10 mondial de la production d´électricité annuelle, ce qui prouve l´excellente qualité et la bonne disponibilité malgré un cadre politique et médiatique souvent hostile au nucléaire /1/.

Poussée par des principes purement idéologiques, l’Allemagne a abandonné l’électronucléaire définitivement le 15 avril 2023. Nous verrons bien si cette décision était justifiée ou une grave erreur en se privant des moyens pilotables, fiables et d’un coût abordable, qui ont contribué à l’atténuation des effets négatifs des changements climatiques.

Selon un sondage de la première chaine de télévision allemande (ARD-DeutschlandTrend), publié le 14 avril 2023, une majorité des sondés est contre la fermeture des dernières centrales nucléaires. Six personnes interrogées sur dix (59%) trouvent que la décision du gouvernement est mauvaise, alors que seul un tiers (34%) la jugent bonne /19/. Une grande partie des personnes interrogées craignent aussi que le tournant vers toujours plus d’énergies renouvelables s’accompagne d’une nouvelle hausse des prix de l’énergie.

Références

/1/ Allemagne Energies (1) Historique de la sortie du nucléaire. En ligne : https://allemagne-energies.com/sortie-du-nucleaire/

/2/Allemagne Energies (2023) Allemagne : les chiffres clés de l´énergie en 2022. En ligne : https://allemagne-energies.com/2023/01/07/allemagne-les-chiffres-cles-de-lenergie-en-2022/

/3/ BASE (2022) Statusbericht zur Kernenergienutzung in der Bundesrepublik Deutschland 2021, BASE-N-01/22, URN 0221-2022090934227, Bundesamt für die Sicherheit der nuklearen Entsorgung (BASE) , en ligne : https://www.base.bund.de/SharedDocs/Kurzmeldungen/BASE/DE/2022/statusbericht-kernenergienutzung-2021.html

/4/ BASE (2022) Anlagen der Kernbrennstoffversorgung und -entsorgung, Bundesamt für die Sicherheit der nuklearen Entsorgung (BASE), en ligne : https://www.base.bund.de/DE/themen/kt/kta-deutschland/kta-uebersicht/versorgung-entsorgung/versorgung-entsorgung.html;jsessionid=A0173D01BF26042923AB903459F79F34.internet011

/5/ BASE (2022) Forschungsreaktoren, Bundesamt für die Sicherheit der nuklearen Entsorgung (BASE), en ligne : https://www.base.bund.de/DE/themen/kt/kta-deutschland/kta-uebersicht/forschungsreaktoren/forschungsreaktoren.html;jsessionid=A0173D01BF26042923AB903459F79F34.internet011

/6/ BMWi (2022) Zahlen und Fakten: Energiedaten, Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz, en ligne : https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Artikel/Energie/energiedaten-gesamtausgabe.html

/7/ Deutscher Bundestag (2022), Antrag auf Stilllegung der Uranfabriken Gronau und Lingen – Exportverbot für Kernbrennstoffe (Fraktion die Linke), Drucksache 20/3616 du 22.09.2022, en ligne : https://dip.bundestag.de/vorgang/stilllegung-der-uranfabriken-gronau-und-lingen-exportverbot-f%C3%BCr-kernbrennstoffe/291534?f.wahlperiode=20&rows=25&pos=2

/8/ Framatome Lingen, ANF, en ligne : https://www.framatome.com/fr/implantations/lingen/

(9/ KernD (2023) Geschichte der Kernenergie, Kerntechnik Deutschland e.V., en ligne : https://www.kernd.de/kernd/Politik-und-Gesellschaft/Geschichte-der-Kernenergie/

/10/ Leclercq, Jacques (1986) L’ère nucléaire, Hachette, 1986, 414 pages, ISBN 2-85108-439-9

/11/ Michaelis, Hans et Salander, Carsten (1995) Handbuch Kernenergie, Kompendium der Energiewirtschaft und Energiepolitik, VWEW-Verlag, ISBN 3-8022-0426-3

/12/ TUM (2014) Atom-Ei wird entkernt, Technische Universität München, en ligne : https://www.frm2.tum.de/frm2/aktuelles-medien/presse/newsarchiv/news-single-view/article/atom-ei-wird-entkernt/

/13/ URENCO Deutschland, en ligne : https://www.urenco.com/global-operations/urenco-deutschland

/14/ VDE (2020) Versuchsatomkraftwerk Kahl GmbH, Verband der Elektrotechnik Elektronik und Informationstechnik e.V., en ligne : https://www.vde.com/de/geschichte/karte/bayern/versuchsatomkraftwerk-kahl

/15/ BMWi (2018) 7. Energieforschungsprogramm der Bundesregierung, Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz, en ligne : https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Publikationen/Energie/7-energieforschungsprogramm-der-bundesregierung.html

/16/ Max-Planck-Institut Wendelstein 7-X, en ligne : https://www.ipp.mpg.de/wendelstein7x

/17/ IAEA (2023) Power Reactor Information System (PRIS), Allemagne, International Atomic Energy Agency, en ligne : https://pris.iaea.org/pris/CountryStatistics/CountryDetails.aspx?current=DE

/18/ WNA (2022) Nuclear Power in Germany, World Nuclear Association, en ligne : https://world-nuclear.org/information-library/country-profiles/countries-g-n/germany.aspx

/19/ Tagesschau (2023) Mehrheit ist gegen Atomausstieg, ARD, DeutschlandTrend14.04.2023, en ligne : https://www.tagesschau.de/inland/deutschlandtrend/deutschlandtrend-3357.html

/20/ Allemagne Energies 2022 Prolongation des trois dernières centrales nucléaires allemandes sur décision du Chancelier – Modification de la Loi Atomique adoptée par le conseil des ministres, en ligne : https://allemagne-energies.com/2022/10/20/prolongation-des-trois-dernieres-centrales-nucleaires-allemandes-sur-decision-du-chancelier-modification-de-la-loi-atomique-adoptee-par-le-conseil-des-ministres/

/21/ Allemagne Energies (2022)  Allemagne : la sélection d´un site de stockage définitif des déchets radioactifs de haute et moyenne activité et à vie longue renvoyée aux calendes grecques, en ligne : https://allemagne-energies.com/2022/11/17/allemagne-la-selection-dun-site-de-stockage-definitif-des-dechets-radioactifs-de-haute-et-moyenne-activite-et-a-vie-longue-renvoyee-aux-calendes-grecques/

/22/ BMWK/BMU (2023) Deutschland beendet das Zeitalter der Atomkraft, Communiqué de presse commun du 13.04.2023, Bundesministerium für Wirtschaft und Klimaschutz, Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz, nukleare Sicherheit und Verbraucherschutz, en ligne : https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Pressemitteilungen/2023/04/20230413-deutschland-beendet-das-zeitalter-der-atomkraft.html

/23/ Allemagne Energies Le tournant énergétique allemand, en ligne :  Sécurité d´approvisionnement

/24/ Fischerhof, Hans (1978) Deutsches Atomgesetz und Strahlenschutzrecht, Volume I, 1069 pages, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, ISBN 3-7890-0393-X

/25/ RTE (2023) Bilan électrique 2022, RTE – Réseau de transport d´électricité. En ligne : https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilans-electriques-nationaux-et-regionaux

Allemagne : arrêt définitif de trois centrales nucléaires le 31 décembre 2021

Temps de lecture : 8 minutes

Conformément à la loi de sortie du nucléaire de 2011 trois centrales nucléaires ont été arrêtées définitivement le 31 décembre 2021. Il s´agit des centrales de Gundremmingen unité C, Grohnde et Brokdorf. D´un point de vue technique, ces centrales nucléaires auraient pu être exploitées plus longtemps. Mais le nouveau gouvernement, en fonction depuis le 8 décembre 2021, poursuit, comme on pouvait s´y attendre, la politique hostile au nucléaire du gouvernement sortant.

L´Allemagne perd ainsi 4058 MW nets de moyens pilotables bas carbone dans le sillage des revers de la politique climatique. Mi-décembre, l´Agence Fédérale de l´Environnement (UBA) a annoncé que la production d´électricité à partir des renouvelables accuse en 2021 une baisse d´environ 5% par rapport à 2020 /1/ malgré une augmentation de la puissance installée. En outre, les émissions de CO2 liées à l´énergie ont augmenté d´au moins 4 % par rapport à 2020, selon les premières estimations d´AG Energiebilanzen /2/ dont celles du secteur électrique de 13% /3/.

Les trois dernières centrales nucléaires (Emsland, Neckarwestheim unité 2 et Isar unité 2) d´une puissance totale nette de 4055 MW seront arrêtées fin 2022. Sans qu´une seule tonne de CO2 supplémentaire soit économisée, une augmentation d´au moins un quart de la production renouvelable serait nécessaire d´ici fin 2022 pour pallier les 65 TWh nets produits par le nucléaire en 2021.

Fig 1Geo KKWs
Figure 1 : Situation géographique des sites nucléaires allemands y compris les dates butoirs de fonctionnement (les centrales en rouge ont été définitivement arrêtées en 2011), source BDEW

Néanmoins, Steffi Lemke, la nouvelle Ministre Fédérale de l´Environnement, de la Protection de la nature, de la Sûreté nucléaire et de la protection des consommateurs, se réjouit dans le communiqué de presse du 28 décembre 2021 /4/ de l´arrêt définitif des trois centrales nucléaires. « La sortie du nucléaire rend notre pays plus sûr et permet d´éviter des déchets radioactifs ». Elle remercie les employés des centrales nucléaires pour leur « comportement responsable lors de l´exploitation et du démantèlement » mais félicite principalement « les milliers de personnes qui se sont mobilisées sans relâche pour la sortie du nucléaire et le tournant énergétique ».

Selon les Verts Steffi Lemke et Robert Habeck, codirigeant du parti des Verts et vice-chancelier en charge du nouveau super ministère de l´Economie, de l´Energie et du Climat, la sécurité de l´approvisionnement en électricité en Allemagne ne serait pas en danger.

Ils s´appuient sur la faible valeur de l´indice SAIDI (System Average Interruption Duration Index) qui donne la durée moyenne d´interruption de l´approvisionnement d´un consommateur final et sur le rapport publié sur la sécurité d´approvisionnement par le gouvernement sortant /5/ lequel arrive au résultat que les consommateurs peuvent être approvisionnés de manière fiable à tout moment à l´horizon de 2030.

Il convient toutefois de noter que l´indice SAIDI ne peut être déterminé que rétrospectivement et ne permet pas de se prononcer sur la sécurité de l´approvisionnement dans le futur /6/ et que la Cour des Comptes avait critiqué le rapport du gouvernement sortant compte tenu des hypothèses trop optimistes et peu plausibles /7/ . Ce rapport part notamment d´une consommation d´électricité de 630 TWh en 2030 soit environ 100 TWh en dessous de la nouvelle estimation d´une consommation brute allant jusqu´à 750 TWh d´ici 2030 /8/ .

Centrales nucléaires arrêtées définitivement fin 2021

Gundremmingen unité C

Trois réacteurs nucléaires ont été construits dans la commune de Gundremmingen située au bord du Danube en Bavière à 40 km au nord-ouest d´Augsbourg.

La centrale Gundremmingen appartient depuis octobre 2019 à RWE Nuclear GmbH. Dans le cadre de l´échange d´actifs avec RWE, E.ON a concédé sa part de la centrale de Gundremmingen dont il détenait 25% via sa filiale PreussenElektra GmbH /9/.

Photo 1-kernkraftwerk-gundremmingen
Photo 1 : Site nucléaire Gundremmingen (Bavière), source RWE Power

L´unité A (à gauche sur la photo 1), un réacteur à eau bouillante d´une puissance électrique nette de 237 MW a été arrêtée en 1977. Le démantèlement du réacteur est bien avancé. En 2006, l´unité A a été transformée en centre de technologie utilisé notamment pour le démantèlement des unités B et C.

L´unité B, un réacteur à eau bouillante d´une puissance électrique nette de 1288 MW, a été arrêtée définitivement fin 2017 /10/ .

L´unité C (à droite sur la photo) est dotée d´un réacteur à eau bouillante d´une puissance électrique nette de 1288 MW et de construction identique à l´unité B. C´était le dernier réacteur à eau bouillante encore en service en Allemagne. L´unité C a été raccordée au réseau en novembre 1984, la mise en service industrielle a eu lieu en janvier 1985.

Au cours des 37 années de fonctionnement, l´unité C a produit presque 362 TWh (bruts) et a affiché un coefficient de disponibilité moyen d´environ 90%. Avec une disponibilité de près de 100 % et une production d´électricité d´environ 11,4 TWh, 2021 a été l´année la plus performante de la centrale /11/.

Au niveau de la production annuelle, elle était aussi dans le Top Ten mondial. En outre, la centrale a économisé au total environ 360 millions de tonnes de CO2 par rapport à une centrale à charbon1).

Les trois réacteurs du site de Gundremmingen ont produit ensemble environ 709 TWh. Cela permettrait de couvrir largement la consommation annuelle d´électricité en Allemagne (inférieure à 600 TWh/an).

Brokdorf

La centrale appartenant à PreussenElektra GmbH (83,3%) et à Stadtwerke Bielefeld (16,7%) est située au bord de l´Elbe dans le Schleswig-Holstein près de la commune du même nom, à environ 60 km au nord-ouest de Hambourg.

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Photo 2 : Centrale nucléaire Brokdorf (Schleswig-Holstein), source PreussenElektra GmbH

La centrale dotée d´un réacteur à eau pressurisée d´une puissance électrique nette de 1410 MW a été raccordée au réseau en octobre 1986. La mise en service industrielle a eu lieu en décembre 1986.

Au cours des 35 années de fonctionnement, la centrale a produit plus de 380 TWh (bruts) et a affiché un coefficient de disponibilité moyen d´environ 90%. Au niveau de la production annuelle elle a été 21 fois au Top Ten mondial dont deux fois sur la première position /12/.

En outre, la centrale nucléaire de Brokdorf a permis d´économiser au total environ 380 millions de tonnes de CO2 /13/ par rapport à une centrale à charbon1).

Grohnde

La centrale appartenant à PreussenElektra GmbH (80%) et Vattenfall Europe Nuclear Energy GmbH (20%) est située au bord de la Visurge (Weser en allemand) dans la commune d´Emmerthal en Basse-Saxe environ 40 km au sud-ouest de Hanovre.

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Photo 3 : Centrale nucléaire Grohnde (Basse-Saxe), source PreussenElektra GmbH

La centrale dotée d´un réacteur à eau pressurisée d´une puissance électrique nette de 1360 MW a été raccordée au réseau en septembre 1984. La mise en service industrielle a eu lieu en février 1985.

Pendant presque 37 années la centrale a produit environ 410 TWh (bruts) et a affiché un coefficient de disponibilité moyen proche de 92% ce qui constitue une valeur record en comparaison internationale /12/. Au niveau de la production annuelle elle a été huit fois sur la première position des Top Ten et a établi deux records du monde en termes de quantité annuelle d´électricité produite. Un autre record a été établi le 7 février 2021 avec l´atteinte d´une production totale brute de 400 TWh /14/. A ce jour, il n´existe aucune autre centrale nucléaire au monde qui ait produit autant d´électricité.

La centrale a permis d´économiser au total plus de 400 millions de tonnes de CO2 par rapport à une centrale à charbon1).

1) Émissions moyennes d´environ 1000g CO2/kWh

Références

/1/ UBA (2021) Deutlich weniger erneuerbarer Strom im Jahr 2021, Communiqué de presse n° 50/21 du 15 décembre 2021, en ligne : https://www.umweltbundesamt.de/presse/pressemitteilungen/deutlich-weniger-erneuerbarer-strom-im-jahr-2021

/2/ AGEB (2021) Energieverbrauch zieht wieder an, Communiqué de presse du 21 décembre 2021, en ligne :  https://ag-energiebilanzen.de/energieverbrauch-zieht-wieder-an/

/3/ BDEW (2021) Die Energieversorgung 2021 – die Zahlen des Jahres 2021, Communiqué de presse du 21 décembre 2021, en ligne : https://www.bdew.de/service/anwendungshilfen/die-energieversorgung-2021/

/4/ BMU (2021), Lemke und Habeck: Atomausstieg macht unser Land sicherer, AKW Brokdorf, Grohnde und Gundremmingen C gehen vom Netz, Communiqué de presse N° 296/21 du 28 décembre 2021, en ligne : https://www.bmu.de/pressemitteilung/lemke-und-habeck-atomausstieg-macht-unser-land-sicherer

/5/ BMWi (2021) Monitoring der Angemessenheit der Ressourcen an den europäischen Strommärkten, en ligne : https://www.bmwi.de/Redaktion/DE/Publikationen/Studien/angemessenheit-der-ressourcen-an-den-europaeischen-strommaerkten.html

/6/ Allemagne-Energies (2021) Gestion d´une pénurie d´électricité en perspective à l´horizon de 2023 ? En ligne : https://allemagne-energies.com/2021/09/05/gestion-dune-penurie-delectricite-en-perspective-a-lhorizon-de-2023/

/7/ Allemagne-Energies (2021) La Cour des Comptes allemande critique à nouveau la transition énergétique du gouvernement fédéral, en ligne : https://allemagne-energies.com/2021/04/06/la-cour-des-comptes-allemande-critique-a-nouveau-la-transition-energetique-du-gouvernement-federal/

/8/ Allemagne-Energies (2021) Le nouveau gouvernement allemand veut accélérer la transition énergétique, en ligne : https://allemagne-energies.com/2021/12/08/le-nouveau-gouvernement-allemand-veut-accelerer-la-transition-energetique/

/9/ Sénat (2021) Étude de législation comparée n° 292 – novembre 2020 – Recueil des notes de synthèse de mars à octobre 2020. Les entreprises du secteur de l´énergie en Europe, en ligne : http://www.senat.fr/lc/lc292/lc2927.html

/10/ Allemagne-Energies (2018) Arrêt définitif de la tranche B de la centrale nucléaire de Gundremmingen après 33 ans, en ligne : https://allemagne-energies.com/2018/01/08/arret-definitif-de-la-tranche-b-de-la-centrale-nucleaire-de-gundremmingen-apres-33-ans/

/11/ RWE Nuclear GmbH (2021) Ende einer Ära: Kernkraftwerk Gundremmingen beendet nach 37 Jahren Stromerzeugung, Communiqué de presse du 31 décembre 2021, en ligne : https://www.rwe.com/presse/rwe-nuclear/2021-12-31-kernkraftwerk-gundremmingen-beendet-nach-37-jahren-stromerzeugung

/12/ PreussenElektra (2021) Kernkraftwerke Brokdorf und Grohnde haben Leistungsbetrieb beendet, Communiqué de presse du 1er janvier 2022, en ligne : https://www.preussenelektra.de/de/unser-unternehmen/newsroom/pressemitteilungen/2021/pel-ende-leistungsbetrieb-kbr-und-kwg.html

/13/ PreussenElektra (2021) Kurz vor endgültiger Abschaltung: Kernkraftwerk Brokdorf verabschiedet sich als bedeutender Stromerzeuger Communiqué de presse du 20 décembre 2021, en ligne : https://www.preussenelektra.de/de/unser-unternehmen/newsroom/pressemitteilungen/2021/kbr-kurz-vor-abschaltung.html

/14/ PreussenElektra (2021) Kernkraftwerk Grohnde liefert neuen Rekord in der Stromerzeugung, Communiqué de presse du 8 février 2021, en ligne : https://www.preussenelektra.de/de/unser-unternehmen/newsroom/pressemitteilungen/2021/kwg-liefert-neuen-rekord-in-stromerzeugung.html

Sortie du nucléaire : accord sur le mécanisme d´indemnisation des énergéticiens allemands

Texte mis à jour : 25.03.2021

Temps de lecture : 5 minutes

Le gouvernement allemand a conclu un accord avec les quatre exploitants nucléaires (EnBW, E.ON/PreussenElektra, RWE et Vattenfall) sur le mécanisme d´indemnisation suite à la sortie accélérée du nucléaire et sur tous les litiges juridiques connexes /1/. L´État accordera une indemnisation totale d´environ 2428 millions d´Euros aux quatre énergéticiens allemands. Le règlement final fera l´objet d´une modification de la Loi Atomique et sera soumis à l´approbation de la Commission européenne en vertu de la réglementation des aides d´État.

L´accord n´a pas de conséquences sur la sortie du nucléaire. Les dernières centrales nucléaires allemandes seront arrêtées au plus tard fin 2022.

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Centrale nucléaire de Mülheim Kärlich (1302 MW), la centrale fût arrêtée en 1988 après seulement 13 mois de fonctionnement suite à des irrégularités formelles lors de la construction (source RWE)

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a publié en novembre 2020 un jugement précisant que le 16ème amendement à la Loi Atomique allemande de juillet 2018 était inapplicable et « entaché d´irrégularités formelles ». Par voie de conséquence, le gouvernement allemand devait notamment revoir le dispositif d´indemnisation prévu pour la sortie accélérée du nucléaire, donnant raison au groupe suédois Vattenfall qui jugeait insuffisant le mécanisme de compensation et avait porté l´affaire en justice /2/, /3/.

Le Ministère fédéral de l´Économie et de l´Énergie a publié le 5 mars 2021 un communiqué de presse /1/ annonçant un accord conclu avec les quatre exploitants nucléaires (EnBW, E.ON/PreussenElektra, RWE et Vattenfall) sur des points clés concernant le paiement d´une indemnisation pour la sortie accélérée du nucléaire et tous les litiges juridiques connexes.

Le règlement final fera l´objet du 18ème amendement à la Loi Atomique allemande /5/. Le projet de Loi a été approuvé par le Conseil des Ministres fin mars 2021 /6/.  

L´accord prévoit en détail les points suivants :

Indemnisation pour les quotas d´électricité non consommés

L´amendement de la Loi Atomique de 2011 sur la sortie accélérée du nucléaire a rendu impossible la production des quotas d´électricité accordés dans le cadre de la Loi Atomique de 2002, notamment ceux accordés aux centrales nucléaires de Vattenfall/E.ON (Krümmel et Brunsbüttel) et de RWE (Mülheim-Kärlich) /4/.

Les centrales nucléaires déclassées de Krümmel et Brunsbüttel sont la propriété conjointe d´E.ON/PreussenElektra et de Vattenfall. Le quota d´électricité disponible dans ces centrales nucléaires en 2011 sera divisé entre E.ON/Preussenelektra et Vattenfall au prorata de leurs parts.

De plus, E.ON/PreussenElektra achète à Vattenfall 13 TWh du quota d´électricité restant de la centrale nucléaire de Krümmel pour environ 181 millions d´Euros qui seront consommés dans leurs centrales.

L´État paye une indemnisation d´environ 1425 millions d´Euros à Vattenfall pour les quotas non consommés des centrales nucléaire de Brunsbüttel (7,3 TWh) et Krümmel (28 TWh).

RWE reçoit une indemnisation de l´État pour le quota de 25,9 TWh non consommés de la centrale nucléaire de Mülheim-Kärlich, soit un montant total d´environ 860 millions d´Euros.

Au total, l´État accorde donc une indemnisation pour le quota d´électricité non produite de 2285 millions d´Euros.

EnBW a la possibilité d´acquérir jusqu´à 2 TWh par Vattenfall dans la mesure où EnBW déclare un besoin pour la centrale nucléaire de Neckarwestheim 2. Cette option permettrait de réduire d´environ 28 millions d´Euros les coûts pour l´État.

Compensation pour des investissements échoués 

Les exploitants nucléaires avaient réalisé des investissements en s´appuyant sur la prolongation d´exploitation de 12 ans en moyenne fixée par l´amendement de 2010 à la loi Atomique qui était entrée en vigueur quelques mois avant l´accident de Fukushima.

Pour ces investissements échoués suite à la décision de sortie accélérée du nucléaire après l´accident de Fukushima en 2011, l´État accorde une compensation de 142,5 millions d´Euros, dont 80 millions d´Euros pour EnBW, 42,5 millions d´Euros pour E.ON/ E.ON/PreussenElektra et 20 millions d´Euros pour RWE.   

Clôture des procédures judiciaires et renonciation au recours

Si l´accord est conclu, les énergéticiens s´engagent à retirer toutes les procédures judiciaires en cours et à renoncer à toute réclamation ou recours contre le régime d´indemnisation.

Cela inclut également la clôture de la procédure d´arbitrage international de Vattenfall contre la République fédérale d´Allemagne au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements à Washington (CIRDI). Cette procédure d´arbitrage est en cours depuis 2012. Vattenfall avait réclamé plus de 6 milliards d´Euros intérêts compris à l´État allemand /4/.

Chaque partie supporte ses propres dépens et les frais de justice sont divisés en parts égales.

Actions ultérieures

L´accord sera réglementé en détail dans un contrat /7/ avec les énergéticiens.

Le contrat et le projet du 18ème amendement à la Loi Atomique allemande seront soumis à l´approbation du parlement. La Commission européenne doit également donner son accord au nom des règles européennes de la concurrence sur les aides d´État.

L´entrée en vigueur de la Loi Atomique ainsi modifiée et de l´accord négocié avec les énergéticiens est prévu pour le 31 octobre 2021.

Références

/1/ BMWi (2021) Bundesregierung und Energieversorger verständigen sich auf finanziellen Ausgleich und Beilegung aller Rechtsstreitigkeiten zum Atomausstieg, communiqué de presse commun avec le ministère d´environnement et le ministère de finance du 5.3.2021, en ligne : https://www.bmwi.de/Redaktion/DE/Pressemitteilungen/2021/03/20210305-bundesregierung-und-energieversorger-verstaendigen-sich-auf-finanziellen-ausgleich-und-beilegung-aller-rechtsstreitigkeiten-zum-atomausstieg.html

/2/ Allemagne-Energies (2020) Sortie du nucléaire : la Cour Constitutionnelle allemande demande au gouvernement de modifier la loi Atomique dans les plus brefs délais afin d’éliminer les entorses aux droits fondamentaux, en ligne : https://allemagne-energies.com/2020/11/16/sortie-du-nucleaire-la-cour-constitutionnelle-allemande-demande-au-gouvernement-de-modifier-la-loi-atomique-dans-les-plus-brefs-delais-afin-deliminer-les-entorses-aux-droits-fondamentaux/

/3/ SFEN (2020) Energiewende, des compensations jugées défectueuses, En Direct 17.11.2000, en ligne : https://www.sfen.org/rgn/energiewende-compensations-jugees-defectueuses

/4/ Allemagne-Energies (2021) Historique de la sortie du nucléaire, en ligne : https://allemagne-energies.com/sortie-du-nucleaire/

/5/ Bundesregierung (2021) Referentenentwurf für ein Achtzehntes Gesetz zur Änderung des Atomgesetzes (18. AtGÄndG), Projet du 18.03.2021, en ligne : https://www.bmu.de/fileadmin/Daten_BMU/Download_PDF/Glaeserne_Gesetze/19._Lp/18_atg_aend/Entwurf/18_atg_aend_refe_bf.pdf

/6/ BMU (2021) Bundeskabinett beschließt Atomgesetz-Novelle für einen finanziellen Ausgleich der Energieversorger und die Beilegung aller Rechtsstreitigkeiten zum Atomausstieg, communiqué de presse N° 051/21 du 24.03.2021, en ligne : https://www.bmu.de/pressemitteilung/bundeskabinett-beschliesst-atomgesetz-novelle-fuer-einen-finanziellen-ausgleich-der-energieversorger-u/

/7/ BMU (2021) Vertragsentwurf Öffentlich-rechtlicher Vertrag, en ligne https://www.bmu.de/fileadmin/Daten_BMU/Download_PDF/Nukleare_Sicherheit/vertragsentwurf_brd_evu_einigung_bf.pdf

Sortie du nucléaire : la Cour Constitutionnelle allemande demande au gouvernement de modifier la loi Atomique dans les plus brefs délais afin d’éliminer les entorses aux droits fondamentaux

Texte mis à jour : 12.03.2021

Temps de lecture : 7 minutes

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Centrale de Mülheim-Kärlich (source RWE), réacteur à eau pressurisée, 1300 MWe, en arrêt provisoire depuis 1988 après seulement 13 mois de fonctionnement en raison des contentieux juridiques. Un quota d´électricité de 107 TWh a été accordé à RWE dans le cadre de la loi Atomique de 2002 pour report vers d´autres centrales nucléaires. En contrepartie, RWE s’est engagée à fermer définitivement la centrale.

La Cour Constitutionnelle allemande de Karlsruhe a publié en novembre 2020 son jugement de fin septembre 2020 /1/ selon lequel le 16e amendement à la loi Atomique de juillet 2018 est inapplicable et entaché d’irrégularités formelles.

Selon la Cour Constitutionnelle, le 16e amendement n’est jamais entré en vigueur car une condition préalable n´a pas été remplie, à savoir la procédure de contrôle des aides d´État de la Commission européenne ne s’est pas déroulée correctement.

De plus le mécanisme de compensation des électriciens a été jugé insuffisant. Le groupe suédois Vattenfall s’estimait en effet lésé par ce mécanisme de compensation et avait porté l’affaire en justice.

Par conséquent, la Cour Constitutionnelle demande au législateur de modifier la loi Atomique dans les plus brefs délais afin d’éliminer les entorses aux droits fondamentaux déjà identifiées lors du jugement de décembre 2016 au sujet du 13e amendement à la loi Atomique de 2011.

Update : Le gouvernement allemand a conclu un accord avec les exploitants nucléaires sur le mécanisme d´indemnisation en mars 2021, voir ici.

Le gouvernement allemand doit revoir son mécanisme d’indemnisation pour les pertes d´exploitation suite à l’arrêt immédiat des 8 réacteurs en 2011 (13e amendement à a loi Atomique de 2011) par rapport aux quotas d’énergie accordés dans le cadre de la loi Atomique de 2002. Le mécanisme d´indemnisation s’applique aux exploitants nucléaires Vattenfall (centrales de Krümmel et Brunsbüttel) et RWE (centrale de Mülheim-Kärlich). E.ON est dans un cas différent, disposant de la possibilité de consommer son quota dans ses centrales nucléaires encore en service.

Le jugement de la Cour Constitutionnelle a des conséquences de grande portée.

Pour l’État, la résolution de la haute juridiction de Karlsruhe est très embarrassante. Après tout, cela montre l’incapacité du gouvernement fédéral à rendre la sortie du nucléaire parfaitement sûre sur le plan juridique.

Dans un communiqué de presse Mme Svenja Schulze,  Ministre fédérale de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nucléaire fait savoir /2/ que le gouvernement fédéral respecte bien sûr le jugement et modifiera « dans un délai convenable » la loi Atomique dans le sens du jugement de la Cour Constitutionnelle.

La ministre souligne que le jugement ne concerne pas la sortie du nucléaire d´ici 2022  qui n´a pas été remise en question par la Cour Constitutionnelle en 2016. Il s’agit seulement « d’une question marginale : la réglementation de certaines demandes d’indemnisation éventuelles par les exploitants de centrales nucléaires ».

En revanche, les retombées économiques du jugement sont limitées. Selon les estimations du Ministère fédéral de l’environnement, les pertes de recettes des exploitants nucléaires RWE et Vattenfall représentent un montant inférieur à un milliard d´Euros. Les montants définitifs d’indemnisation doivent être calculés après 2022, lorsque tous les réacteurs auront été mis à l’arrêt car les quotas non consommés ne seront connus qu´à ce moment-là.

Néanmoins, cette décision est une bonne nouvelle pour les énergéticiens. Seul le groupe suédois Vattenfall s’estimait lésé par ce mécanisme de compensation et avait porté l’affaire en justice. Mais RWE a également salué la décision de la Cour de Karlsruhe et espère maintenant avoir son droit renforcé à une indemnisation de l’État ou pouvoir vendre ses quotas résiduels d´électricité à un prix équitable.

Information de fond

Le 13e amendement d´août 2011 à la loi Atomique a entériné la fermeture immédiate et définitive de huit réacteurs (capacité nette de ~ 8 400 MW). Les neuf réacteurs restants seront arrêtés progressivement (introduction des dates butoirs de fermeture). Les trois derniers réacteurs seront arrêtés fin 2022 /3/.

Le 13e  amendement ne prévoit aucune compensation pour les pertes de recettes par rapport aux quotas d’énergie accordés dans le cadre de la loi Atomique de 2002. RWE, E.ON et Vattenfall ont déposérecours auprès de la Cour Constitutionnelle pour inconstitutionnalité du 13e amendement à la loi Atomique.

En décembre 2016, la Cour Constitutionnelle a rendu un jugement selon lequel les électriciens sont en droit d’exiger une indemnisation pour les pertes d´exploitation par rapport aux quotas d’énergie accordés dans le cadre de la Loi Atomique de 2002. Celle-ci attribuait un quota (en térawattheure) à produire par réacteur. La loi Atomique de 2011 a rendu impossible la production de ces quotas, notamment ceux accordés aux centrales nucléaires de Vattenfall (Krümmel et Brunsbüttel) et de RWE (Mülheim-Kärlich)

En revanche la Cour Constitutionnelle ne remet pas en question la sortie du nucléaire d’ici 2022.

Pour la mise en œuvre du jugement, le législateur a adopté le 16e amendement à la loi Atomique en juillet 2018.  Cependant, le 16e amendement à la loi Atomique n’était pas conforme à cet objectif, comme l’a déterminé la plus haute instance constitutionnelle /1/.

Selon la Cour Constitutionnelle, le 16e amendement n’est jamais entré en vigueur car une condition préalable n´a pas été remplie, à savoir la procédure de contrôle des aides d´État de la Commission européenne ne s’est pas déroulée correctement. Il n’y a pas eu de notification juridiquement contraignante de la Commission européenne sur cette question, mais seulement une évaluation non contraignante (« Comfort Letter »), qui, contrairement à l’avis du gouvernement, ne remplit pas les conditions de modalité d’entrée en vigueur de l´amendement.

Le 16e amendement était apparemment imprécis. La Direction générale de la concurrence de la Commission européenne a fait savoir que ses services ont supposé qu’aucune notification formelle au titre de l’article 108 (3) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’était nécessaire en ce qui concerne le 16e amendement à la loi Atomique.

De plus le mécanisme de compensation des électriciens a été jugé insuffisant par la haute juridiction de Karlsruhe. Le groupe suédois Vattenfall s’estimait en effet lésé par ce mécanisme de compensation et avait porté l’affaire en justice.

Vattenfall et RWE ont été soumis à des contraintes. Le gouvernement a exigé que les énergéticiens fassent tous les efforts nécessaires pour vendre la quantité d’électricité résiduelle à leurs concurrents. Ce n’est que s’ils n’y parviennent pas qu’ils auront droit à une indemnisation de l´État. En fait, seule PreussenElektra GmbH, une filiale d´E.ON, aurait pu être considérée comme un acheteur potentiel qui aurait probablement essayé de baisser le prix de vente. Si les entreprises Vattenfall et RWE rejetaient l’offre, l’État pourrait les accuser de ne pas faire suffisamment d’efforts pour vendre leur quantité d’électricité résiduelle – et refuser l´indemnisation par l´État.

La haute juridiction de Karlsruhe a jugé ceci anticonstitutionnel. Au moment de l’action, les électriciens concernés ne peuvent pas savoir quelles conditions de transfert ils doivent accepter, et les modalités d’indemnisation actuelles leur imposent soit d’accepter des conditions de vente de leur quota résiduel potentiellement inacceptables, soit de prendre le risque de se retrouver sans indemnisation de l´État. Ainsi, le 16e amendement ne prévoyait pas de modalités d’indemnisation adéquates au sens du jugement de la Cour Constitutionnelle de décembre 2016.

Par conséquent, la Cour Constitutionnelle demande au législateur de revoir la loi Atomique dans les plus brefs délais afin d’éliminer les entorses aux droits fondamentaux déjà identifiées lors du jugement de 2016 au sujet du 13e amendement de 2011.  Pour l’instant, il n’y a pas de date butoir pour la modification de la loi.

Outre la procédure juridique engagée en Allemagne, le groupe suédois Vattenfall réclame plus de 6 milliards d’Euros intérêts compris à l’Etat allemandpour l’arrêt de Krümmel et Brunsbüttel devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), tribunal d’arbitrage de la Banque Mondiale situé à Washington /3/.

Le jugement du CIRDI était initialement attendu en 2018 mais, suite aux tentatives infructueuses du gouvernement allemand de disqualifier les 3 juges du CIRDI pour partialité, la procédure a été retardée.

Références

/1/ BverfG (2020) 16. Atomgesetz-Novelle vom 10. Juli 2018 nicht in Kraft getreten; Gesetzgeber bleibt zur Neuregelung verpflichtet. Communiqué de presse n° 98/2020 du 12.11.2020. Bundesverfassungsgericht. En ligne : https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2020/bvg20-098.html.

/2/ BMU (2020) Beschluss des Bundesverfassungsgerichts zum Sechzehnten Gesetz zur Änderung des Atomgesetzes, Communiqué de presse n° 202/20 du 12.11.2020, BMU – Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz und nukleare Sicherheit. En ligne : https://www.bmu.de/pressemitteilung/beschluss-des-bundesverfassungsgerichts-zum-sechzehnten-gesetz-zur-aenderung-des-atomgesetzes/

/3/ Allemagne-Energies (2020) Rapide historique de la sortie du nucléaire en Allemagne, en ligne : https://allemagne-energies.com/sortie-du-nucleaire/