Transition énergétique allemande, Energiewende Deutschland, sortie du nucléaire, énergies renouvelables, économies d´énergie, réduction des émissions de gaz à effet de serre
Étiquette : Centrales à gaz compatibles avec l´hydrogène
Le fournisseur communal d’électricité « Leipziger Stadtwerke » a procédé le 23 octobre 2023 à la mise en service officielle d’une centrale à cogénération par cycle combiné pouvant produire – électricité et chaleur – tant au gaz naturel qu’à l’hydrogène.
Dotée d’une puissance électrique de 125 MW et d’une puissance thermique de 163 MW la centrale atteint un rendement global de plus de 93%.
C’est un pas important pour la transition énergétique en Allemagne. En même temps, le projet révèle deux grandes questions non encore résolues :
Le « réseau de démarrage » de pipelines d’hydrogène prévu par le gouvernement fédéral ne sera pas disponible avant 2027/2028 et la disponibilité suffisante de l’hydrogène « vert » à un prix raisonnable, reste elle-même très incertaine ;
Selon l’Agence Fédérale des Réseaux, il faudrait ajouter jusqu’à 21 GW de centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène » d’ici 2031. Or, le gouvernement n’a pas encore présenté sa stratégie pour faciliter le déploiement de nouvelles centrales.Centrale à cogénération Leipzig-Süd / Source : Leipziger Stadtwerke
La mise en service de « Leipzig-Süd », centrale à cogénération par cycle combiné qui peut produire – électricité et chaleur – tant au gaz naturel qu’à l’hydrogène est un pas important pour la transition énergétique allemande /1/.
Cette centrale /2/, dotée d’une puissance électrique de 125 MW et d’une puissance thermique de 163 MW, se compose du hall de turbines à gaz (1), du bâtiment utilitaire (2) et de la station de pompage (3), complétée par un accumulateur d’eau chaude (4), comme indiqué sur la figure 1.
Figure 1 : Plan d’un ensemble d’édifices de la centrale « Leipzig Süd »
Deux turbines à gaz de type SGT-800 d’une puissance électrique unitaire de 62,5 MW constituent le cœur de l’installation. Siemens Energy les a fait fabriquer dans son usine suédoise.
La véritable nouveauté est qu’elles sont capables de fonctionner à 100% d’hydrogène. Pour Siemens Energy c’était jusqu’à présent le plus grand défi compte tenu du fait que l’hydrogène est, en raison de ses caractéristiques, plus difficile à manipuler que le gaz naturel.
Figure 2 : deux turbines à gaz de type SGT-800 d’une puissance électrique unitaire de 62,5 MW
Le gaz d’échappement généré lors de la combustion permet la production d’eau chaude grâce aux échangeurs de chaleur d’une puissance thermique de 81,5 MW chacun, couplés en aval de chaque turbine. Le rendement global de la centrale atteint ainsi plus de 93%
Un accumulateur d’une capacité d’environ 43.000 m3 (contenu énergétique environ 1800 MWh) permet le stockage de l’eau chaude non utilisée dans l’immédiat. L’eau chaude peut être injectée ultérieurement dans le réseau de chauffage urbain selon le besoin.
La construction a débuté mi-2020 et la centrale a été raccordée au réseau pour la première fois en 2022.
Bien que la mise en service de cette centrale « prête pour l´hydrogène » soit un pas important pour la transition énergétique allemande, le projet révèle en même temps deux grandes questions non résolues.
Le « réseau de démarrage » de pipelines d’hydrogène disponible seulement à partir de 2027
L’alimentation de la centrale nécessite une connexion au réseau d’hydrogène toujours en cours de planification. Le gouvernement prévoit la mise en place d’un « réseau de démarrage » de l´hydrogène avec plus de 1.800 km de pipelines reconvertis et nouvellement construits d´ici 2027/2028 /3/.
La centrale de Leipzig brûlera donc dans un premier temps du gaz naturel, jusqu’à ce que le raccordement au réseau d’hydrogène soit achevé.
La disponibilité suffisante de l’hydrogène « vert » à un prix raisonnable est également très incertaine. Même si des projets pilotes ont été lancés, l´hydrogène « vert » est pour l´instant quasiment absent du marché allemand. La majeure partie de l´hydrogène dit « gris » est actuellement produite à partir de sources fossiles (gaz naturel, charbon, pétrole).
Pour l’année 2030, la demande totale est estimée à 95 – 130 TWh, soit 1,8 à 3,8 millions de tonnes d´hydrogène. La capacité nationale de production ne suffira pas à satisfaire la demande du pays, une grande partie de l’hydrogène devra donc être importée /3/.
La stratégie du gouvernement sur la capacité de moyens pilotables en back-up et leur financement toujours en attente
Suite à l’arrêt du nucléaire en 2023 et des centrales à charbon à partir de 2030, la capacité des centrales à gaz existantes est insuffisante pour pallier l´intermittence des énergies renouvelables (éolien, solaire).
Selon l’Agence Fédérale des Réseaux, il faudrait ajouter 17 à 21 GW de centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène » d’ici 2031 /4/, en plus des centrales à gaz et turbines à combustion déjà existantes. Le gouvernement a déjà répété à plusieurs reprises qu’il annoncerait en automne 2023 une stratégie sur la capacité de moyens pilotables en back-up et leur financement. Le Ministre fédéral de l’Économie et de la Protection du Climat a déjà diffusé des chiffres en août 2023 /5/.
Pour l’instant, les investisseurs potentiels attendent que le gouvernement présente sa stratégie pour faciliter le déploiement de nouvelles centrales.
La centrale à cogénération « Leipzig-Süd » a coûté environ 188 M€ /6/. Compte tenu des incertitudes concernant la disponibilité et du coût de l’hydrogène « vert », on peut supposer que le gouvernement devra assurer une grande partie des investissements de ces futures centrales.
De plus, la mise en service d’une capacité de 21 GW (une centaine de centrales) d’ici 2030 est un défi.
/4/ Deutscher Bundestag (2023) Handlungsempfehlungen der Bundesregierung zur Gewährleistung der Versorgungssicherheit mit Elektrizität. Drucksache 20/5555 vom 3.2.2023. Deutscher Bundestag. En ligne : https://dserver.bundestag.de/btd/20/055/2005555.pdf.
Par communiqué de presse du 1er août 2023 /1/, le Ministre de l’Énergie et la Protection du Climat, Robert Habeck, a annoncé qu’un accord de principe a été trouvé avec la Commission européenne sur les conditions-cadres relatives aux aides d’État pour la construction de centrales climatiquement neutres.
L’accord avec la Commission européenne concerne les subventions du gouvernement allemand pour une capacité de moyens pilotables de 23.800 MW. Il s’agit d’assurer l’approvisionnement en électricité lorsque la production éolienne et photovoltaïque est insuffisante. C’est pour cela que le gouvernement fédéral veut lancer des appels d’offres pour 15.000 MW de centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène ». Il s’agit de centrales à gaz, nouvelles ou existantes, qui fonctionneraient d’abord au gaz naturel et seraient converties à l’hydrogène au plus tard en 2035. S’y ajouteraient d’ici 2035 des centrales d’une puissance totale de 8.800 MW utilisant dès le départ l’hydrogène.
La prochaine étape sera une phase de consultation qui débutera à la fin de l’été ayant pour principal objectif de permettre aux acteurs concernés de donner leur avis notamment sur la nécessité, l’éligibilité et l’adéquation des mesures. Durant cette phase de consultation, la procédure d’aide d’État se poursuivra auprès de la Commission européenne.
Projet d’une centrale à gaz (prête pour l´hydrogène) de 800 MW sur le site de Weisweiler en Rhénanie du Nord Westphalie / source RWE /6/
Le gouvernement allemand vise à l´horizon de 2035 une production d´électricité presque climatiquement neutre.
En plus de moyens de stockage et de flexibilité de la demande, un parc de production pilotable en support restera indispensable pour suppléer l´intermittence de la production de l´éolien et du photovoltaïque.
Après l´abandon du nucléaire mi-avril 2023 et l´intention de la coalition gouvernementale d´avancer à 2030 « dans l´idéal » la sortie de la production d´électricité à partir du charbon, le parc thermique se réduirait à terme aux centrales à gaz. La capacité des centrales à gaz existantes étant insuffisante pour se substituer au nucléaire et au charbon, la construction de nouveaux moyens pilotables bas carbone est nécessaire pour garantir la sécurité d´approvisionnement.
Une stratégie pour faciliter le déploiement de nouvelles centrales fonctionnant à l´hydrogène a déjà été annoncée en février 2023 /2/. Le communiqué de presse du 1er aout 2023 /1/ précise les mesures envisagées.
Concrètement, il est prévu de lancer à partir de 2024 des appels d’offres pour 8,8 GW de nouvelles centrales électriques qui fonctionneraient dès le départ à l’hydrogène.
De plus il est prévu de mettre en adjudication jusqu’à 15 GW de centrales à gaz, nouvelles ou existantes, convertibles au plus tard en 2035 à une production à base d´hydrogène. Sur ces 15 GW une capacité de 10 GW fera l’objet d’appels d’offres entre 2024 et 2026. Jusqu’à 6 GW sont réservés pour des nouvelles centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène », les 4 GW restants sont dédiés à la conversion à l’hydrogène (fuel switching) des centrales existantes.
Après une phase d’évaluation les 5 GW restants seront adjudiqués après 2026.
La question de la forme concrète des subventions n’a pas encore été réglée.
BDEW (Association Fédérale de l´Économie Énergétique et des Eaux) fait remarquer dans son communiqué /3/ que les décisions finales d’investissement ne pourront être prises que lorsque les connexions au réseau d’hydrogène seront assurées et qu’une exploitation économique des centrales sera rendue possible par des conditions-cadres appropriées.
Les experts sont partagés sur la capacité nécessaire de nouvelles centrales
Dans le rapport « monitoring de la sécurité d´approvisionnement en électricité » du régulateur, publié en février 2023 /2/, /5/, il est prévu, selon le modèle de calcul, un ajout de nouvelles centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène » de l’ordre de 17 à 21 GW d’ici 2031. En outre, il est prévu de construire environ 9 GW qui fonctionneront dès le départ à l’hydrogène.
Toutefois, l´opinion des experts diverge sur la capacité de nouvelles centrales bas carbone à construire à l’horizon de 2030.
Boston Consulting Group (BCG) évalue l’ajout à 43 GW de centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène » d’ici 2030 pour pallier l´intermittence des énergies renouvelables et respecter les objectifs climatiques /2/.
McKinsey estime le manque de moyens pilotables à au moins 30 GW à l’horizon de 2030. De plus McKinsey /4/ met en doute le fait que les conditions pour la construction des nouvelles centrales seront remplies en temps voulu et dans leur intégralité. De plus, la bascule vers l’hydrogène vert, du fait de la disponibilité d’un hydrogène à un prix raisonnable, reste elle-même très incertaine.
L´économie de l´hydrogène vert n´en est encore qu´à ses débuts. La production, l´approvisionnement (y compris par le biais d´importations) et le transport de l´hydrogène vert sont un défi majeur pour la mise en œuvre de la transition énergétique.
Le gouvernement vise 80% d´énergies renouvelables pour la production d´électricité d´ici 2030 et presque 100% à l´horizon de 2035. Mais en l´absence de moyens suffisants de stockage d´énergie, un parc de production pilotable en support pour pallier l´intermittence restera indispensable.
Suite à l´abandon du nucléaire mi- avril 2023 et l´intention de la coalition gouvernementale d´avancer « dans l´idéal » la sortie de la production d´électricité à partir du charbon à 2030 au lieu de 2038, le parc thermique se réduirait à terme aux centrales à gaz.
La capacité des centrales à gaz existantes étant insuffisantepour se substituer au nucléaire et au charbon, la construction de nouveaux moyens pilotables est nécessaire pour garantir la sécurité d´approvisionnement au cours de cette décennie lorsque la production de l´éolien et du photovoltaïque est faible. C´est pour cela que le gouvernement avait prévu, compte tenu des objectifs climatiques ambitieux, la construction de centrales à gaz qui seraient exploitées à terme de manière neutre en carbone grâce à l´hydrogène.
Mais la crise énergétique, née de la guerre en Ukraine, et la flambée du prix du gaz suite aux efforts pour s´émanciper de la forte dépendance au gaz russe conduisent à une nouvelle réalité pour la transformation du système électrique. La construction de nouvelles centrales à gaz n´est pas rentable actuellement. De plus, les experts sont divisés sur la capacité supplémentaire qu´il faudrait construire en cas de sortie anticipée du charbon d´ici 2030. Les estimations varient entre 15 à 43 GW.
Selon un communiqué de presse du 1er février 2023 du Ministre de l´Economie et de la Protection du Climat, Robert Habeck, l´approvisionnement en électricité de l´Allemagne serait assuré jusqu´en 2031, malgré une augmentation de la consommation d´électricité et l´abandon des centrales à charbon en 2030. C´est ce que montrerait le rapport « monitoring de la sécurité d’approvisionnement en électricité » que le régulateur (Bundesnetzagentur) a présenté au gouvernement.
Toutefois, des moyens pilotables supplémentaires doivent être construits pour pallier l´intermittence de la production éolienne et photovoltaïque. Le gouvernement prévoit au cours du premier semestre 2023 une stratégie pour la mise en place de ces moyens pilotables, afin que ces centrales soient compatibles avec un système électrique climatiquement neutre.
Nota bene : Le gouvernement allemand annonce la construction de presque 24 GW de centrales à hydrogène en août 2023 (cf. texte ici).
Figure 1 : Projet d´une centrale à gaz « prête pour l´hydrogène » / source Siemens
Les plans énergétiques de la coalition gouvernementale en fonction depuis fin 2021 mettent la sécurité d´approvisionnement en électricité de l´Allemagne à rude épreuve. Les experts et les énergéticiens avertissent que, sans construction préalable de nouveaux moyens pilotables, une pénurie d´électricité pourrait se produire si l´on sortait du charbon en 2030 « dans l´idéal » comme prévu dans l´accord de coalition / 1 / entre les Sociaux-démocrates (SPD), les Verts (Bündnis 90/Die Grünen) et les Libéraux (FDP).
Malgré un développement massif des énergies renouvelables, des moyens pilotables en support pour pallier l´intermittence restera indispensable. En conséquence, le gouvernement a pour objectif la construction de nouvelles centrales à gaz. Cependant, compte tenu des objectifs climatiques ambitieux, le passage aux centrales à gaz naturel ne peut être qu´une solution transitoire. C´est pour cela que le gouvernement mise sur des nouvelles centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène » convertibles à terme à une production d´énergie durable à base d´hydrogène vert /2/.
La crise énergétique conduit à une nouvelle réalité pour la transformation du système électrique
La crise énergétique, née de la guerre en Ukraine, et la flambée du prix du gaz suite aux efforts pour s´émanciper de la forte dépendance au gaz russe conduisent à une nouvelle réalité pour la transformation du système électrique.
Compte tenu du prix élevé du gaz naturel et d´un facteur de charge probablement très insuffisant, la construction de centrales à gaz n´est pas rentable car les moyens financiers nécessaires pour la construction et l´exploitation des centrales ne peuvent pas être récupérés via le marché « energy-only » qui ne rémunère que l´électricité réellement produite.
De plus l´exigence de conversion à terme des centrales à gaz à l´hydrogène augmente le risque d´investissement dans de nouvelles installations. Il est difficile de prévoir de manière fiable quand l´hydrogène vert sera effectivement disponible en quantité suffisante et à un prix abordable.
Bien que le gouvernement veuille faciliter le déploiement de nouvelles centrales fonctionnant d´abord au gaz et à terme à l´hydrogène, il n´a pas encore présenté une stratégie pour encourager leur financement. Le Ministre Fédéral de l´Economie et de la Protection du Climat, Robert Habeck, a annoncé le 1er février 2023 qu´une stratégie serait établie au cours du premier semestre 2023 /10/.
L´abandon du nucléaire et du charbon laisse un vide à combler
En 2021 la Cour Fédérale des Comptes a critiqué le suivi insuffisant de la sécurité d´approvisionnement d´électricité et préconisé d´étudier d´urgence des scénarios qui reflètent de manière fiable les évolutions actuelles et les risques affectant l´offre et la demande de l´électricité / 3/.
L´urgence apparait clairement dans le dernier état des lieux du régulateur /4/. Une capacité d´environ 15 GW sera mise hors service d´ici 2025 : les trois centrales nucléaires (~ 4 GW) seront déconnectées du réseau d´ici mi-avril 2023 et environ 11 GW de centrales à houille et lignite sortiront du marché d´ici 2025. Actuellement, le régulateur prévoit un ajout d´environ 3,3 GW dont 2,8 GW de centrales à gaz, cf. figure 2.
Figure 2 : déclassement et nouvelles constructions de moyens pilotables entre 2022 et 2025
Désaccord entre experts sur le besoin de nouvelles centrales à gaz (H2-ready)
L´opinion des experts diverge sur la capacité nécessaire de centrales à gaz à construire en cas de sortie anticipée du charbon d´ici 2030. Selon une publication du service scientifique du Parlement /5/, les estimations varient entre 15 à 43 GW d´ajout net.
La figure 3 montre l´évolution présumée des moyens pilotables entre 2019 et 2030 selon EWI – Institut d´économie de l´énergie de l´Université de Cologne /6/, /7/. Par rapport à 2019 l´Allemagne perdrait, sans la construction de nouvelles centrales, de l´ordre de 56 GW (10 GW nucléaire, 25 GW charbon et 21 GW lignite) d´ici 2030.
Figure 3 : évolution présumée des moyens pilotables entre 2019 et 2030 selon EWI
La figure 4 montre les différentes hypothèses sur la capacite nécessaire de centrales à gaz à l´horizon de 2030.
Sous l´hypothèse d´une consommation brute de 745 TWh et d´une pointe de consommation hivernale de 95 GW, EWI /6/ évalue la capacité nécessaire des moyens pilotables à 71 GW en 2030 dont 55 GW de centrales à gaz. Il faudrait donc ajouter 23 GW compatibles avec l´hydrogène (H2-ready) à la capacité existante. Le reste (~ 16 GW) serait assuré par des sources renouvelables pilotables (biomasse, hydroélectricité). Pour passer la pointe de 95 GW il faudrait en plus, selon EWI, recourir à une combinaison de la flexibilité de la demande, d´importations d´électricité et de capacités de stockage de l´électricité (stations de transfert d´énergie par pompage, batteries).
Boston Consulting Group (BCG) arrive dans son étude pour le compte de la Fédération de l´Industrie Allemande (BDI) à des résultats assez différents /8/. En 2030, la pointe de consommation hivernale est estimée à 101 GW et le besoin de moyens pilotables à 96 GW.
BCG a utilisé une approche déterministe : le besoin de moyens pilotables a été évalué hors importations, avec une disponibilité de 90% de centrales conventionnelles, 80% pour les stations de transfert d´énergie par pompage, 25% pour l´hydroélectricité au fil de l´eau, 2% pour l´éolien, 0% pour le photovoltaïque, 10 % pour le stockage en batteries et 35% pour les mesures de la flexibilité de la demande (DSM : Demande-Side-Management). En outre, une marge de sécurité de 5 % a été prise en compte.
BCG arrive à la capacité totale de centrales à gaz de 74 GW soit un ajout de 43 GW (H2-ready) au parc existant pour pallier l´intermittence et respecter les objectifs climatiques, cf. figure 4.
Figure 4 : capacité nécessaire de centrales à gaz à l´horizon de 2030
Le rapport « monitoring de la sécurité d´approvisionnement en électricité », publié le 1er février 2023 par le régulateur /10/, confirme qu´il faudra construire, sous l´hypothèse de la sortie du charbon en 2030, des moyens pilotables supplémentaires pour couvrir la demande lorsque l´éolien et le photovoltaïque ne fournissent pas suffisamment d´électricité. Le rapport prévoit, selon le modèle de calcul, un ajout de nouvelles centrales à gaz « prêtes pour l´hydrogène » de l´ordre de 17 à 21 GW d´ici 2031.
En outre, dans le cadre de la Loi sur les énergies renouvelables EEG 2023 /11/, il est prévu de promouvoir la construction de centrales qui fonctionneront dès le départ à l´hydrogène. Des appels d´offres d´un volume total appelé de 8,8 GW seraient prévus entre 2023 et 2028. On ne peut encore dire si ces installations seront opérationnelles à temps d´ici la fin de la décennie pour pouvoir contribuer à la sécurité d´approvisionnement.
Une stratégie pour la construction de nouvelles centrales à gaz devrait être présentée par le gouvernement au cours du premier semestre 2023 /10 /. Ces nouvelles centrales à gaz doivent être construites « prêtes pour l´hydrogène ».
Le nombre exact de centrales à gaz qu´il faudrait ajouter pour couvrir les besoins en 2030 est actuellement difficile à évaluer. Cela dépend de la technologie, de la taille et du rendement. Sous hypothèse d´une tranche à cycle combiné gaz de 500 MW il faudrait construire 80 unités pour un besoin de 40 GW et au moins 42 unités pour un besoin de 21 GW supplémentaires par rapport au parc thermique gaz actuel /5/.
Des petites unités de cogénération décentralisés basées sur la production combinée de chaleur et d´électricité, pouvant être intégrées facilement dans des infrastructures existantes, constitueraient éventuellement une alternative. Le délai de réalisation pour les petites centrales est inférieur à un an, alors que pour les grandes il faut compter plusieurs années.
Il faudrait également tenir compte de la possibilité de reconvertir (fuel switching) des centrales à charbon existantes. Les premiers contrats de conversion des centrales au charbon en centrales au gaz et à terme à l´hydrogène ont déjà été conclus entre EnBW et Siemens Energy /9/. Siemens Energy s´engage à ce que les nouvelles turbines à gaz puissent fonctionner avec un mélange de 75% d´hydrogène dès leur installation en 2024 et que les turbines à gaz soient techniquement prévues pour fonctionner à l´hydrogène pur.
Obligation de réformer le fonctionnement du marché de l´électricité pour stimuler l´investissement dans des moyens pilotables
Selon le rapport monitoring publié début 2023 par le régulateur, l´approvisionnement en électricité serait assuré outre-Rhin jusqu´en 2031, même avec la sortie du charbon d´ici 2030 et une augmentation significative de la consommation d´électricité, à condition toutefois que tous les objectifs du gouvernement fixés à l´horizon de 2030 soient mis en œuvre /10/.
BDEW (Association Fédérale de l´Économie Énergétique et des Eaux) fait remarquer dans son communiqué du 1er février 2023/12/ que le rapport « monitoring de la sécurité d´approvisionnement » du régulateur ne constitue ni un « stress-test » ni une vérification de la robustesse de la situation en matière de sécurité d´approvisionnement en 2030. Le rapport montre sur la base d´hypothèses très optimistes que la sécurité d´approvisionnement serait garantie et à condition que toutes les prémisses soient remplies en temps voulu et dans leur intégralité. Un scénario « worst case » n´a pas été étudié.
Pour parvenir à un système électrique climatiquement neutre d’ici 2035, tout en abandonnant les centrales à charbon d´ici 2030, l´Allemagne devrait produire une accélération jamais vue auparavant. Le risque que tous ces objectifs ne soient pas atteints existe bel et bien.
Selon BDEW, les hypothèses du gouvernement sur la construction de nouvelles centrales à gaz ne sont pas réalistes. Les conditions actuelles du marché ne permettent pas d´investir dans de telles capacités de production qui ne fonctionneront qu´un nombre d´heures très limitées.
Il est donc important qu´en 2023 les décisions soient prises par le gouvernement pour réformer le fonctionnement du marché de l´électricité afin que les investissements dans des moyens pilotables soient rentables.
Sans l´ajout substantiel de nouveaux moyens pilotables dans les prochaines années, les centrales à charbon continueront à fonctionner au-delà de 2030 pour garantir l´approvisionnement en électricité /7/.
De plus l´Allemagne sera vraisemblablement obligée de recourir d´avantage aux importations d´électricité en provenance des pays voisins alors qu´elle est depuis des années parmi les pays les plus exportateurs en Europe. Le rapport monitoring du régulateur montre en effet que l´Allemagne pourrait devenir un importateur net d´électricité dans les prochaines années /10/.
/2/ Deutscher Bundestag (2022) Gaskraftwerke in Deutschland – Status quo und geplanter Zubau. Antwort der Bundesregierung auf die Kleine Anfrage der Fraktion CDU/CSU – Drucksache 20/924 vom 09.03.2022. Deutscher Bundestag. En ligne : https://dserver.bundestag.de/btd/20/009/2000924.pdf.