La fédération allemande des entreprises de l’énergie BDEW a publié en août 2018 une analyse sur l´évolution des moyens de production pilotables en Europe. Le motif de l´étude était l´incertitude du développement du parc thermique en Allemagne (sortie du nucléaire et du charbon) et la circonstance que l´Allemagne pourrait ne plus être en mesure d’assurer la sécurité de l´approvisionnement en électricité sans apport des pays frontaliers.
L´étude attire l´attention sur le fait qu’on observe dans les autres pays européens la même tendance à réduire les capacités des centrales thermiques concomitamment au développement des énergies renouvelables intermittentes. La réduction des moyens de production pilotables et la montée en puissance simultanée des énergies fatales amoindrissent les possibilités de secours inter-frontaliers lors des situations de pointe en cas de vagues de froid, remettant ainsi en question la garantie de la sécurité d’approvisionnement en Allemagne.

Jusqu’à présent le gouvernement allemand présupposait qu´en cas de besoin – après la sortie du nucléaire et la réduction des capacités des centrales à charbon – la capacité des moyens pilotables dans les pays voisins serait suffisante pour assurer la sécurité de l’approvisionnement en Allemagne grâce aux interconnexions européennes. Une erreur de jugement selon une analyse de la fédération des entreprises de l’énergie BDEW publiée en août 2018 /1/.
L´analyse du BDEW a détecté une erreur de calcul dans les documents de stratégie du gouvernement allemand. Dans son livre vert de 2014, le Ministère Fédéral de l´Economie et de l´Energie (BMWi) part de l´hypothèse que des surcapacités de l´ordre de 60 GW de moyens pilotables seraient disponibles sur le marché de l´électricité en Europe.
Ce chiffre de 60 GW ne serait pas correct selon l´analyse du BDEW. Le ministère aurait « mal interprété » le « Mid-Term Adequacy Forecast » (MAF) /2/ du Réseau Européen des Gestionnaires de Réseau de Transport d’Electricité (en abrégé REGRT-E ; en anglais European Network of Transmission System Operators for Electricity, ENTSO-E), association représentant les gestionnaires de réseau de transport d’électricité (GRT) à travers l’Europe.
En réalité les surcapacités de moyens pilotables en Allemagne et dans les pays limitrophes sont déjà plus basses d´un facteur 3 à 4 (15 à 23 GW).
En 2016 ENTSO-E a changé la méthodologie du rapport MAF. Les nouveaux rapports ne publient plus d´informations systématiques sur les capacités disponibles en GW mais se fondent sur les pannes d’électricité exprimées en heures („Loss Of Load Expectation“ – LOLE) et les quantités d´électricité non fournie („Energy not Supplied“ – ENS).
LOLE indique le nombre probable annuel d´heures où l´approvisionnement ne serait pas assuré par les capacités nationales ou les importations, tandis que ENS indique la quantité d´électricité en GWh probablement manquante pour assurer la demande d´électricité. Le calcul est effectué sur la base des modèles probabilistes en tenant compte des disponibilités, de la probabilité de défaillance des unités de production et d´autres options pour maitriser l’équilibre offre-demande. Cependant il n´existe pas une valeur LOLE reconnue pour fixer un niveau de sécurité d´approvisionnement en Europe. Quelques pays considèrent même des valeurs LOLE de 3 à 4 heures comme tolérables.
Selon le rapport MAF, on note pour l´Allemagne, les Pays-Bas, la Tchéquie, la Suisse et l´Autriche pour 2020 et 2025 une valeur LOLE faible c´est à dire que la demande d’électricité serait assurée à tout moment, à presque 100%. En revanche, pour la France, la Pologne et l´Italie les valeurs LOLE seraient plus élevées dès 2020, et après 2025 pour la Belgique (voir figure 2).

Cette approche décrit bien la sécurité de l’approvisionnement probable dans chaque pays mais ne permet pas une évaluation chiffrée concrète des sur- ou sous-capacités disponibles en moyens pilotables en Europe.
Rapport du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission Européenne sur les régions productrices de charbon de l´UE
Le service scientifique interne de la Commission Européenne, le Joint Research Centre (Centre commun de recherche) prévoit d´ici 2025 une réduction de la capacité des centrales à charbon dans l’UE-28 de 150 GW actuellement à 105 GW /3/. A l´horizon 2030, une nouvelle baisse de capacité à 55 GW est attendue. Cela correspond à une réduction de 63% par rapport à la situation actuelle.

Cela signifie que, outre la réduction de la part du nucléaire en Europe, manqueront prochainement aussi des capacités de centrales thermiques à flamme. L´arrêt de centrales à charbon est certainement bénéfique pour la réduction des émissions de CO2 mais en absence de solutions de stockage massif d´énergie, les moyens pilotables adéquats sont indispensables pour suppléer aux carences des énergies renouvelables intermittentes lors des épisodes prolongés de production éolienne et solaire quasi nulle, combinée à une demande d´électricité accrue de fin d´automne ou en hiver.
Les possibilités de secours inter-frontaliers en situation de pointe deviennent de plus en plus fragiles
Selon BDEW, cette tendance des pays européens à réduire les capacités des centrales à charbon et les capacités nucléaires et à développer simultanément les énergies renouvelables rend les possibilités de secours inter-frontaliers en situation de pointe de plus en plus fragiles. L´idée d´assurer la sécurité d´approvisionnement à l´aide d´ importation d´électricité produite sur la base d’énergies renouvelables n´est pas viable considérant la similitude des conditions de vent et d’ensoleillement en Europe occidentale. Pour améliorer le potentiel de foisonnement des productions d´énergies renouvelables, il faudrait en plus un super-réseau international de lignes à haute tension, très éloigné de la réalité en Europe.
Selon cette analyse, l´Allemagne devrait d´abord assurer son propre équilibre offre-demande car il n’y a aucune certitude que l´on puisse compter sur ses voisins pour passer les pointes pendant les vagues de froid rigoureux, si on considère que lors des moments de pointe en Allemagne les pays limitrophes sont également dans une situation proche. Cela limiterait de façon significative la marge de manœuvre pour réduire davantage la capacité des moyens pilotables en Allemagne.
Selon le BDEW l´Allemagne dispose actuellement encore d´une capacité de centrales thermiques d´environ 90 GW dont environ la moitié à base de charbon et lignite /4/. En raison de l´arrêt déjà prévu ou annoncé des centrales, dont les 9,5 GW du nucléaire restant, la capacité totale des centrales thermiques pourrait diminuer à environ 75 GW d´ici 2023 pour une pointe à 82 GW début des années 2020 selon l´agence fédérale de réseau.
Une commission créée par le gouvernement en juin 2018 doit proposer d’ici la fin de l´année une date de sortie définitive de la production d’électricité à base de charbon et de lignite /5/.
En 2015 « douze voisins électriques », dont la France et l´Allemagne ont signé une déclaration /6/ entérinant des engagements à mieux coordonner les politiques nationales de l’énergie, notamment en matière de sécurité de l’approvisionnement.
C´est un premier pas, mais la mutualisation des moyens de secours entre plusieurs pays suppose une politique commune et des règles strictes sur le dimensionnement des moyens pilotables.
Références
/1/ BDEW, communiqué de presse du 22.08.2018: « Kraftwerks-Kapazitäten in der Europäischen Union schmelzen dahin », https://www.bdew.de/presse/presseinformationen/kraftwerks-kapazitaeten-der-europaeischen-union-schmelzen-dahin/
/2/ ENTSO-E : Mid-Term Adequacy Forecast, 2017 Edition, https://docstore.entsoe.eu/Documents/SDC%20documents/MAF/20170918_MAF_2017_FOR_CONSULTATION.pdf
/3/ Alves Dias, P. et al., « EU coal regions: opportunities and challenges ahead », EUR 29292 EN, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2018, ISBN 978-92-79-89884-6, doi:10.2760/064809, JRC112593, https://ec.europa.eu/jrc/en/publication/eur-scientific-and-technical-research-reports/eu-coal-regions-opportunities-and-challenges-ahead
/6/ PENTALATERAL ENERGY FORUM : Second Political Declaration of the Pentalateral Energy Forum of 8 June 2015, https://www.bmwi.de/Redaktion/DE/Downloads/P-R/pentalateral-energy-forum-second-political-declaration.pdf?__blob=publicationFile&v=1